Une 72e guérison miraculeuse vient d’être reconnue par l’Église catholique, en l’occurrence celle d’une italienne de 67 ans, Antonietta Raco, qui attendait cette reconnaissance depuis son pèlerinage à Lourdes en 2009 après lequel elle s’est remise sans explication d’une sclérose latérale primitive qui la clouait sur un fauteur roulant. Un nouveau miracle qui réjouira les uns et interrogera les autres.
Pour l’Église catholique, cette reconnaissance officialisée mercredi par Mgr Vincenzo Carmine Orofino, évêque du diocèse de Tursi-Lagonegro, dans la province italienne de Matera, l’une des plus vieilles et envoûtantes villes du monde, apparaît comme une bonne nouvelle dans une période où les mauvaises n’ont cessé de s’accumuler. Le rapport, il y a trois ans et demi, de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) qui avait identifié a minima quelque 330 000 victimes, puis cette année les révélations en série sur les agressions et violences à Notre-Dame-de-Bétharram et dans plusieurs autres établissements catholiques et depuis jeudi les nouvelles révélations sur l’Abbé Pierre ont donné une image terrible de l’institution. Un miracle en pleine semaine pascale permet au clergé français de retrouver le sourire et aux fidèles de se reconcentrer sur leur foi.
Le 72e miracle de Lourdes est aussi une bonne nouvelle pour la ville. « Ce qu’il nous faut, c’est un nouveau miracle », nous expliquait au début des années 2000 un hôtelier de la ville à une époque où chacun espérait un successeur à Jean-Pierre Bély, déclaré miraculeusement guéri de sa sclérose en plaques en 1999. Dans la deuxième ville hôtelière de France, où l’économie dépend à 90 % du tourisme et particulièrement des pèlerins, un miracle est à même de déclencher un surcroît de fréquentation. Une fréquentation bienvenue pour une ville durement affectée par la pandémie de Covid et qui s’est engagée depuis, via un plan spécial de 100 millions d’euros, à se moderniser et se diversifier.
Enfin, un nouveau miracle questionne forcément la médecine et la science. Comment des personnes qu’on croyait jusqu’alors incurables retrouvent le plein usage de leur corps ? Par quel mystère triomphent-elles de la maladie là où la médecine semblait avoir échoué ? Ces questions sont là depuis que Lourdes est devenue un sanctuaire ; la foi questionne ainsi depuis un siècle et demi la raison et vice-versa. Le 25 juillet 1894, le grand écrivain Émile Zola lui-même s’empare du sujet, exprime son scepticisme dans « Mon Voyage à Lourdes » puis dénonce dans son roman « Lourdes », ouvrage à charge, les vices et les escroqueries qui règnent selon lui dans la cité mariale. Mais ce « J’accuse »-là se heurte aux malades miraculés examinés par le Bureau médical créé en 1883… Depuis, le questionnement de la science perdure face à ces guérisons miraculeuses « en l’état des connaissances scientifiques », même si une étude menée en 1993 sur 128 années a établi que le nombre de guérisons inexpliquées à Lourdes serait finalement du même ordre de grandeur que celui constaté… en milieu hospitalier.
Mais au final, l’essentiel n’est peut-être pas là et le message de Lourdes n’est pas dans le miracle lui-même sur lequel vont digresser religieux, hôteliers ou médecins. Le vrai message de cette petite ville au pied des Pyrénées est sa capacité à avoir su créer un endroit unique où chacun, malade ou valide, croyant ou athée, riche ou pauvre est pareillement accueilli et considéré. La célébration de cette fraternité-là à une époque où elle fait tant défaut, de cet humanisme-là, de plus en plus attaqué dans le monde : voilà le vrai miracle de Lourdes.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du samedi 19 avril 2025)