La disparition d’Agathe Hilairet, une jeune femme de 28 ans qui n’a plus donné signe de vie depuis qu’elle a quitté jeudi 10 avril le domicile de ses parents à Vivonne, à 20 km au sud de Poitiers, pour aller courir, n’est pas qu’un fait divers de plus à même d’occuper les heures d’antenne de chaînes d’information en continu. Cette disparition interpelle, en effet, les Français à plusieurs niveaux.
Le premier, local presque intime, appelle évidemment notre solidarité avec les proches d’Agathe, ses parents, ses amis, aujourd’hui rongés par l’inquiétude mais ardemment habités par l’espoir de la retrouver saine et sauve. Nos pensées vont vers eux et nos encouragements vers les forces de l’ordre, pompiers, gendarmes, plongeurs, maîtres-chiens qui, très rapidement, ont déployé avec de nombreux citoyens bénévoles des moyens conséquents pour ratisser la zone de la disparition ; opérations toujours longues, complexes et incertaines. Le temps presse et le moindre témoignage – 90 signalements ont été reçus par les enquêteurs après la diffusion d’un appel à témoins – peut être capital pour découvrir ce qui a pu se passer en plein jour le 10 avril dernier.
Le second niveau est que cette disparition résonne, hélas, avec d’autres affaires similaires qui ont eu lieu ces dernières années partout en France, avec les mêmes questionnements, les mêmes angoisses de proches dont la dignité et courage forcent le respect, et les mêmes inquiétudes quant au dénouement qui prend parfois des mois à se concrétiser – lorsqu’il se concrétise. À Toulouse, la disparition d’Agathe Hilairet rappelle ainsi le douloureux souvenir de Patricia Bouchon, qui avait profondément bouleversé et ému l’opinion dans la région. Cette secrétaire juridique de 49 ans et mère de famille, avait disparu le 14 février 2011 alors qu’elle était partie, comme Agathe, faire son son jogging matinal à Bouloc. Son corps avait été retrouvé 42 jours plus tard et un homme a été condamné en appel en 2023 à 20 ans de réclusion pour son meurtre.
Enfin, en élargissant la focale, la disparition d’Agathe doit aussi interpeller sur la société que nous voulons et sur la place des femmes. Les disparitions de femmes, les agressions constituent autant d’alertes sur une liberté que l’on croyait acquise, mais qui reste trop souvent conditionnelle : celle d’exister pleinement, seule, dans l’espace public. Trop de femmes doivent encore réfléchir à l’heure, au lieu, à la tenue, au chemin qu’il faut emprunter pour aller courir. Trop de femmes doivent encore anticiper regards, commentaires, voire agressions pour prendre un métro ou un bus, rentrer chez elles la nuit, partir en voyage seules ou s’asseoir dans une salle de cinéma.
Peut-on tolérer en 2025 que leur indépendance puisse s’accompagner d’un sentiment de vulnérabilité dans l’espace public ? À l’heure où les discours masculinistes réactionnaires se diffusent massivement et voudraient renvoyer les femmes vers les siècles passés de soumission, il faut que des voix s’élèvent pour défendre et garantir un droit à la liberté de se déplacer en sécurité. Autant dire qu’un sursaut collectif est nécessaire. La disparition d’Agathe rappelle aussi cela ; elle n’est pas qu’un fait divers…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 17 avril 2025)