Sans l’emballement de l’actualité internationale autour des décisions et des revirements de Donald Trump, l’affaire Nestlé Waters aurait sans doute occupé les devants de la scène médiatique car ce dossier, qui s’étire dans une relative indifférence, va désormais au-delà du simple scandale sanitaire d’une multinationale qui se croit tout permis. Cette affaire constitue une triple déflagration : sanitaire, politique et économique.
Le scandale sanitaire, d’abord. Nestlé a reconnu avoir eu recours à des traitements non autorisés sur plusieurs de ses eaux minérales naturelles – microfiltration à 0,2 micron, ultraviolets, filtres à charbon actif – alors même que ces pratiques sont proscrites par la réglementation européenne. Ces techniques, utilisées pour masquer des contaminations potentielles, sont l’aveu d’un manquement fondamental : celui de garantir la pureté originelle des sources. Depuis 2022, des documents internes alertaient sur la « non-conformité de ces eaux ». En toute connaissance de cause, la firme a continué à commercialiser ses produits. La confiance des consommateurs, d’évidence, a été trahie.
Mais c’est le volet politique qui jette une ombre plus vaste sur ce dossier, car ce n’est plus seulement Nestlé qui a failli, c’est bien l’État. En janvier 2023, le Directeur général de la santé, les autorités sanitaires, l’Anses, l’IGAS, tous ont tiré la sonnette d’alarme. Tous ont recommandé de suspendre l’exploitation des sources concernées. Aucune de ces recommandations n’a été suivie. À la place : une concertation interministérielle, en février 2023, validée par des conseillers de l’Élysée, a donné son feu vert à la poursuite des activités, malgré les risques sanitaires et le potentiel contentieux européen. Ce n’est plus une négligence, c’est une caution.
En refusant de se présenter devant la commission d’enquête sénatoriale – alors qu’il est tenu de le faire comme n’importe quel citoyen – Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée et pilier du pouvoir macroniste, aggrave encore la crise de confiance. Le bras droit d’Emmanuel Macron se retranche derrière la « séparation des pouvoirs » et une sorte d’immunité qu’aucun texte ne lui confère, alors même qu’il a été directement impliqué dans des échanges avec Nestlé. L’impossibilité d’auditionner cet acteur clé du dossier nourrit dès lors des questions essentielles : l’Élysée savait-elle que Nestlé fraudait ? Si oui, a-t-elle couvert cette fraude, c’est-à-dire privilégié les profits de Nestlé au détriment des règles sanitaires qui protègent les Français ? Et pourquoi ?
Enfin, il y a le scandale économique illustré par la capacité d’une multinationale à peser sur des choix politiques et des règles établies. Le lobbying de Nestlé – à coups de promesses d’investissement ou de « chantage » à l’emploi – a été d’une efficacité redoutable pour infléchir les lignes rouges de la régulation sanitaire au point qu’il a semblé écrire lui-même les règles du jeu. L’Elysée martèle qu’il n’y a eu ni « entente » ni « connivence », Nestlé dément avoir exercé une forme de lobbying.
Le 19 mai, la commission sénatoriale qui tente d’y voir clair, livrera ses conclusions et peut-être ses recommandations. Car au-delà de l’infraction au Code de la santé publique et la façon dont une telle fraude a pu se produire, il reste l’infraction à la morale républicaine, avec un système où l’on ment, où l’on cache, où l’on esquive, où l’on se défausse. Un système où la vérité, comme l’eau, peut être traitée, filtrée… jusqu’à disparaître. Un système qui est, clairement, inacceptable.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 11 avril 2025)