Accéder au contenu principal

La force de l’Europe

Europe

Quelle place aura l’Europe – l’Union européenne à laquelle on peut associer le Royaume-Uni – dans la « nouvelle ère » décrite méticuleusement par Emmanuel Macron mercredi soir lors de son allocution aux Français ? Car c’est bien, au final, de cela dont il s’agit. Quelle place à l’heure où le multilatéralisme, patiemment construit après la fin de la Seconde Guerre mondiale, semble s’effacer, où les alliances séculaires de part et d’autre de l’Atlantique sont renversées, et où la paix sur le Vieux continent, qu’on croyait définitivement installée après la chute du mur de Berlin et la fin de la Guerre froide, s’est déjà éloignée avec la guerre en Ukraine ?

Quelle place face au retour des impérialismes ? L’impérialisme de Donald Trump, qui, à coups de taxes douanières, d’attaques contre l’État de droit et la science et de « vérités alternatives », promet le retour d’un âge d’or – référence au Gilded Age entre 1865 à 1901 – et d’une Amérique conquérante comme le fut celle de William McKinley ou de Theodore Roosevelt. L’impérialisme de Vladimir Poutine, l’ex-espion paranoïaque du KGB, qui assurait que la chute de l’URSS était la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle et qui, depuis 25 ans de pouvoir sans partage, s’ingénie à tout faire – y compris donc la guerre – pour rebâtir l’ancienne sphère d’influence soviétique qui étouffa la liberté en Europe de l’Est. L’impérialisme, enfin, du Chinois Xi Jinping qui, s’il n’occupe pas le devant de la scène, reste bien présent avec des visées territoriales sur Taïwan et des opérations d’ingérence aujourd’hui largement documentées.

Face à la Russie et aux États-Unis dont les intérêts s’alignent à son détriment, l’Europe est aujourd’hui seule et ne doit – et ne peut – que compter sur elle-même pour assurer sa sécurité et défendre ses valeurs humanistes qui remontent à l’Antiquité. Les Européens, qui ont sans doute trop tardé à détecter les signaux faibles de cette « nouvelle ère » où les démocraties libérales sont attaquées par des autocrates fascisants, sont aujourd’hui au pied du mur pour prendre des décisions existentielles qui vont les engager sur le long terme. La prise de conscience est tardive mais, heureusement, réelle. Il suffit d’écouter les récentes déclarations de ses dirigeants.

Le 23 février, le vainqueur des législatives en Allemagne, Friedrich Merz inaugure une révolution. Le futur chancelier déclare, en rupture avec la position atlantiste allemande depuis 80 ans : « Ma priorité absolue sera de renforcer l’Europe le plus rapidement possible, de manière à ce que nous obtenions peu à peu une véritable indépendance vis-à-vis des États-Unis. Je n’aurais jamais cru devoir dire une chose pareille dans une émission de télévision. Il est devenu clair que les Américains, ou en tout cas cette partie des Américains, ce gouvernement, sont largement indifférents au sort de l’Europe », estime-t-il, aujourd’hui prêt à rompre le dogme de l’orthodoxie budgétaire pour dépenser sans compter pour la défense.

Le 2 mars, le tout aussi Atlantiste Premier ministre polonais Donald Tusk expose un « paradoxe. » « 500 millions d’Européens demandent à 300 millions d’Américains de les défendre contre 140 millions de Russes. Pouvez-vous compter ? Commencez à compter sur vous-même », exhorte-t-il. Et d’expliquer que « l’Europe doit comprendre sa force ».

C’est-à-dire qu’après 80 ans de paix et de prospérité, l’Europe, conçue comme un marché, doit se considérer non comme un empire mais comme une puissance qui compte. L’Europe doit se donner enfin les moyens de ses ambitions en se rappelant ce que disait l’un de ses pères fondateurs Robert Schuman : « Nous ne coalisons pas des États, nous unissons des Hommes ».

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 7 mars 2025)

Posts les plus consultés de ce blog

Sortir des postures

Le cortège d’une manifestation ou un rassemblement pour fêter la victoire d’un club sportif qui se terminent par des émeutes, des dégradations de mobilier urbain et de vitrines de magasins, parfois pillés, et des attaques violentes des forces de l’ordre par des hordes encagoulées dans un brouillard de gaz lacrymogènes… Les Français se sont malheureusement habitués à ces scènes-là depuis plusieurs décennies. Comme ils se sont aussi habitués aux polémiques politiciennes qui s’ensuivent, mêlant instrumentalisation démagogique, règlement de comptes politiques et critiques d’une justice supposément laxiste. Le dernier épisode en date, qui s’est produit samedi soir à Paris à l’occasion de la victoire du PSG face à l’Inter Milan en finale de la Ligue des champions, ne fait, hélas pas exception à la règle. Au bilan édifiant – deux morts, des dizaines de blessés, plus de 600 interpellations, des rues et magasins saccagés – s’ajoutent désormais les passes d’armes politiques. Entre l’opposition e...

Le prix de la sécurité

C’est l’une des professions les plus admirées et respectées des Français, celle que veulent exercer les petits garçons et aussi les petites filles quand ils seront grands, celle qui incarne au plus haut point le sens de l’intérêt général. Les pompiers, puisque c’est d’eux dont il s’agit, peuvent évidemment se réjouir de bénéficier d’une telle image positive dans l’opinion. Celle-ci les conforte et les porte au quotidien mais si elle est nécessaire, elle n’est plus suffisante pour faire face aux difficultés qu’ils rencontrent au quotidien, opérationnelles, humaines et financières. Opérationnelle d’abord car leurs missions ont profondément changé et s’exercent avec plus de contraintes. De l’urgence à intervenir pour sauver des vies – presque 9 opérations sur 10 – on est passé à des interventions qui ne nécessitent parfois même pas de gestes de secours et relèvent bien souvent davantage de la médecine de ville voire des services sociaux. C’est que les pompiers sont devenus l’ultime recour...

Principes et réalité

Seize mois après les manifestations historiques des agriculteurs, nées en Occitanie à l’hiver 2024 en dehors des organisations syndicales traditionnelles, voilà la colère paysanne de retour. Ce lundi, à l’appel notamment de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs, et après de nombreuses actions ponctuelles ces dernières semaines, les tracteurs seront, en effet, à nouveau dans les rues pour dire l’exaspération des agriculteurs de voir les mesures promises si lentes à se mettre en place et pour rappeler l’urgence à agir aux députés, qui examinent ce lundi à l’Assemblée nationale une proposition de loi clivante lancée par le sénateur LR Laurent Duplomb. Ambitionnant de « lever les contraintes », ce texte, plébiscité par le monde agricole mais qui ulcère les défenseurs de l’environnement et les tenants d’un autre modèle agricole, propose entre autres de faciliter le stockage de l’eau, de simplifier l’extension des élevages, de réintroduire certains pesticides dont un néonicotinoïde qu...