Les images sont de mauvaise qualité mais elles persistent sur nos rétines. Car si elles rappellent celles de jeux vidéo ou de séries télévisées américaines, elles montrent hélas pourtant bien un terrible drame survenu en France et une réalité de la criminalité : l’attaque sanglante d’un fourgon pénitentiaire au péage de l’A13 à Incarville, la semaine dernière, au cours de laquelle deux surveillants, Fabrice Moello et Arnaud Garcia, ont perdu la vie. À l’heure de l’hommage national qui leur sera rendu ce mercredi par Gabriel Attal, la solidarité de la Nation entourera leurs familles, dignes et courageuses.
Si ce drame terrible – jamais vu en France depuis 1992 – nous émeut, il doit aussi constituer un signal d’alarme pour la société car il soulève des questions graves qui ne peuvent rester sans réponses durables. Cette attaque met ainsi d’abord en lumière les failles de la sécurité autour des transferts de détenus. Si une révision complète des protocoles de transfert s’impose, avec peut-être l’introduction de mesures technologiques plus avancées et une meilleure coordination avec les forces de l’ordre pour prévenir de telles tragédies, on peut aussi imaginer que certains actes d’audition pourraient davantage se faire en visioconférence sans attenter en rien aux droits de la défense.
Ensuite, ce drame pose la question de ce qui se passe dans les prisons, comment certains détenus peuvent se radicaliser et/ou continuer à diriger depuis leur cellule leurs trafics à l’extérieur. S’interroger sur ces aspects, c’est aussi s’interroger sur la surpopulation carcérale. Avec 76 766 détenus au 1er mars, la surpopulation carcérale a atteint un niveau sans précédent en France qui, d’un côté, constitue un terreau fertile pour la violence et le désespoir des détenus, et de l’autre crée des conditions extrêmement difficiles pour les surveillants pénitentiaires. À la suite du drame d’Incarville, ces derniers ont engagé mouvement de blocage des prisons. Ils ont obtenu d’Eric Dupond-Moretti, « des avancées » sur l’armement des surveillants, la sécurisation, le renouvellement des véhicules, la limitation des transferts. Des mesures bienvenues et nécessaires. Mais seront-elles suffisantes à long terme si la surpopulation carcérale continue à faire des prisons des cocottes-minute ? Il y a matière à interroger en profondeur notre politique pénale.
Enfin, et c’est peut-être le sujet le plus important que soulève le drame d’Incarville, la violence de cette attaque meurtrière doit nous alerter sur l’évolution de la criminalité liée au trafic de drogue. Certains politiques désireux d’instrumentaliser ce drame à quelques jours des élections européennes ont parlé de « mexicanisation » en référence aux règlements de compte sanglants auxquels se livrent les narcotrafiquants en Amérique centrale et du Sud. Nous n’en sommes pas là mais l’intensification de la violence qui entoure les trafics de drogue est une réalité largement soulignée dans le récent rapport de la Commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic en France.
Un narcotrafic qui ne représente que la partie émergée de l’iceberg d’une criminalité organisée plus large. Obnubilée par le trafic de stupéfiants, la France ne regarde pas avec attention cette problématique, souligne la chercheuse Clotilde Champeyrache, spécialiste des mafias. Avant que ces narcotrafiquants ne s’infiltrent dans l’économie légale, il y a urgence, comme le recommande le Sénat, à sortir des opérations de communication et à frapper le « haut du spectre », c’est-à-dire la tête de ces réseaux criminels.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 22 mai 2024)