La mort brutale du président iranien Ebrahim Raïssi dans le crash de son hélicoptère est-elle de nature à changer la politique de l’Iran, à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières ? Pour l’heure, c’est surtout un statu quo qui se dessine, car le détenteur véritable du pouvoir n’est pas le président de la République mais bien le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, qui dirige le pays depuis 1989 d’une main de fer dans un gant de crin, avec les Gardiens de la Révolution islamique comme garde prétorienne militaire et religieuse.
La présidente en exil du Conseil national de la Résistance iranienne a beau estimer que la mort du « boucher de Téhéran » est un « coup stratégique monumental et irréparable porté au guide suprême des mollahs et à l’ensemble du régime, connu pour ses exécutions et ses massacres », le régime va justement tout faire pour contenir la moindre contestation, comme il le fait depuis que la jeunesse iranienne scande « Femme, vie, liberté » en hommage à Mahsa Amini, morte fin 2022 pour un voile mal porté.
L’Iran reste ainsi « une kleptocratie doublée d’une thanatocratie, une klepthanatocratie, c’est-à-dire un régime corrompu qui s’approprie les richesses d’un pays et se maintient au pouvoir en régnant par la mort et par la peur des mises à mort », selon la définition qu’en a faite François-Henri Désérable dans son récent livre « L’usure d’un monde » (Ed. Gallimard). Sur les traces de Nicolas Bouvier qui traversa l’Iran et en tira un chef-d’œuvre de la littérature de voyage, « L’usage du monde » en 1963, Désérable a pu rencontrer la jeunesse iranienne d’aujourd’hui, de Téhéran à Ispahan jusqu’aux confins du Balouchistan. Son constat est double : un immense désir de liberté à la hauteur d’un pays grandiose d’un côté, une République islamique aux abois qui réprime dans le sang toute dissidence.
L’opposition en exil veut croire que la mort de Raïssi va être un catalyseur du mécontentement et « va inciter la jeunesse rebelle à l’action ». Les scènes de joie publiées sur les réseaux sociaux à l’annonce de la disparition du président montrent bien que, derrière la peur, bout toujours le courage, en dépit des risques d’arrestation, de prison, de torture et d’exécution. Mais la mort brutale de Raïssi pourrait tout aussi bien raidir encore un peu plus un régime vulnérable dont le Guide suprême, âgé de 85 ans, vient de perdre celui qui aurait pu être son successeur, en dépit d’un mauvais bilan économique et d’une impopularité massive.
Dans la période incertaine qui s’ouvre pour l’Iran jusqu’à la présidentielle, plusieurs scénarios sont possibles, du renforcement des conservateurs au retour des réformistes, en passant par l’émergence d’un candidat populiste. Des choix cruciaux pour un pays de 88 millions d’habitants, qui seront observés à la loupe par les voisins de l’Iran, alliés et rivaux, par les mouvements terroristes que parrainent les mollahs, par la Russie et la Chine, et par l’Occident.
Reste à savoir si l’usure du régime est suffisante pour imaginer qu’advienne un tout autre Iran dont le rôle central dans la région et dans le monde pourrait changer le Moyen-Orient.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mardi 21 mai 2024)