De toutes les revendications et motifs de colère des pharmaciens qui ferment leurs officines pour une grève historique par son ampleur ce jeudi, la lutte contre les pénuries de médicaments est celle qui intéressera sans doute le plus le grand public. Car depuis des mois, des millions de Français ont été confrontés à des médicaments manquants, avec parfois de grandes difficultés pour trouver des solutions alternatives.
Antibiotiques, anticancéreux, vaccins, voire Doliprane : la liste des produits en rupture de stock ou distribués au compte-gouttes s’est inexorablement allongée. En 2023, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a ainsi recensé près de 5 000 signalements de ruptures ou de risques de rupture, un chiffre en constante augmentation depuis une décennie. Cette situation est d’autant plus préoccupante que certains médicaments touchés sont indispensables pour certains patients, mettant en péril des traitements vitaux.
Les causes de ces pénuries sont évidemment multiples, mais la perte de notre capacité industrielle à produire des médicaments sur notre sol est l’un des aspects clé de ce dossier. Depuis plusieurs années, la mondialisation a profondément transformé l’industrie pharmaceutique et la recherche de coûts de production toujours plus bas pour maintenir les profits conséquents des laboratoires a entraîné une délocalisation massive de la fabrication des principes actifs vers des pays asiatiques, notamment la Chine et l’Inde, qui produisent aujourd’hui près de 80 % des principes actifs utilisés dans les médicaments européens. Cette concentration géographique rend la chaîne d’approvisionnement vulnérable aux aléas politiques, économiques et sanitaires. La pandémie de Covid-19 en a été une triste illustration : les chaînes de production et de distribution ont été gravement perturbées, exacerbant les pénuries, que ce soit pour les médicaments comme pour les masques dont nous nous sommes aperçus avec effarement qu’ils étaient quasi totalement produits en Chine.
La pandémie a ainsi constitué un révélateur de nos fragilités nous poussant à agir pour relocaliser les productions de médicaments jugés essentiels. Cette prise de conscience d’une souveraineté sanitaire à reconquérir, en France comme en Europe, était essentielle mais pas suffisante car la relocalisation est aussi complexe que coûteuse. Elle nécessite des investissements colossaux pour reconstruire des usines, recruter et former du personnel qualifié, et garantir la compétitivité des sites de production, le tout en respectant des normes très exigeantes et des contraintes administratives, fiscales et financières qui peuvent être lourdes.
La France a lancé ce vaste chantier avec les fonds de France 2030 ; elle a aussi su attirer des investissements étrangers avec Choose France (2 milliards d’euros). Mais à ce plan de relocalisation qui va prendre plusieurs années, il faut ajouter des mesures plus immédiates pour sécuriser l’approvisionnement des médicaments.
À cet égard, la mobilisation doit nous impliquer tous pour en finir avec ce mal français : les patients en modérant s’ils le peuvent leur consommation de certains médicaments, les médecins en évitant les prescriptions superflues, les pharmaciens en ayant un système de gestion plus fin et la possibilité de réaliser des substitutions thérapeutiques.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 30 mai 2024)