L’or bleu va-t-il virer au cauchemar bleu ? En tout cas en moins de quinze jours, plusieurs événements viennent rappeler combien la ressource en eau est fragile, et combien les activités humaines sont en très grande partie responsables de sa dégradation. Guerre autour des usages de l’eau, pollution de l’eau potable, nappes phréatiques historiquement basses : trois fléaux qui mettent en danger notre accès à l’eau, trois périls qui ne sont plus réservés comme autrefois aux pays lointains mais qui, année après année, deviennent un réel problème chez nous.
La guerre des usages, d’abord, s’est illustrée avec la polémique des mégabassines et notamment celle de Sainte-Soline où se sont déroulés des affrontements entre des manifestants radicaux et les forces de l’ordre. Si cette bataille rangée avec cocktail molotov et grenades lancées depuis des quads, qui s’est soldée par des dizaines de blessés de part et d’autre, a donné lieu à des images spectaculaires et une polémique politique, elle a occulté le vrai débat : l’intérêt de ces mégabassines qui puisent dans les nappes phréatiques l’hiver (si elles sont à un certain niveau) pour le compte exclusif de quelques agriculteurs. Devrait-on changer les cultures pour d’autres moins gourmandes en eau et si oui comment aider les agriculteurs ? Quel impact sur le paysage, la biodiversité ? Le débat a été escamoté.
La pollution de l’eau ensuite. Alors qu’on demande aux Français, pour lutter contre la pollution plastique de préférer l’eau du robinet, un rapport accablant de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) montre qu’un tiers de l’eau potable distribuée en France est non conforme à la réglementation, les experts ayant détecté la présence d’un métabolite du chlorothalonil R471811, un fongicide interdit depuis 2020. L’Anses a aussi demandé l’interdiction d’un autre produit phytosanitaire, le S-Métalochlore, responsable d’une pollution massive des nappes phréatiques. Là encore, le débat vire à la foire d’empoigne entre des agriculteurs confrontés à la concurrence internationale qui ont besoin de préserver leur culture et des impératifs de santé publique et de protection de l’environnement et de la biodiversité, le tout sur fond de souveraineté alimentaire. Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau estime, concernant les produits phytosanitaires, qu’il faut « poser correctement le débat et changer de méthode pour avancer ». À condition que ce changement de méthode ne consiste pas à remettre en cause l’indépendance de l’Anses, ni les travaux scientifiques très clairs sur le sujet.
Enfin, le niveau historique des nappes phréatiques est le troisième sujet d’inquiétude. Avec 75 % des nappes à des niveaux modérément bas à très bas, le spectre d’une sécheresse estivale se renforce pour la moitié des départements français. Quatre villages sont d’ores et déjà privés d’eau potable dans les Pyrénées-Orientales…
Emmanuel Macron a présenté le 30 mars un plan « pour une gestion résiliente, sobre et concertée de la ressource en eau », riche de 53 mesures. Un premier pas, jugé timide par certains, qu’il faudra poursuivre et accentuer. Mais la France ne peut agir seule car le problème de l’eau est mondial. « Une surconsommation et un surdéveloppement vampiriques, une exploitation non durable des ressources en eau, la pollution et le réchauffement climatique incontrôlé sont en train d’épuiser, goutte après goutte, cette source de vie de l’humanité », a lancé le secrétaire général de l’ONU António Guterres lors de la Journée mondiale de l’eau, qui craint une crise « imminente ». Mais il n’est pas trop tard pour éviter ce cauchemar...
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du dimanche 16 avril 2023)