Convaincu qu’il peut tourner la page de la réforme des retraites dont il a promulgué la loi vendredi, Emmanuel Macron s’est fixé, lors de son allocution lundi soir, cent jours pour relancer son quinquennat autour de trois vastes chantiers dont celui du travail. Le président de la République envisage notamment de créer France Travail, une nouvelle entité qui devrait remplacer Pôle emploi à partir de 2024 et améliorer la formation, l’insertion professionnelle et la recherche d’emploi. Mais avant cela peut-être faudra-t-il créer France retraites, car la mise en œuvre de la nouvelle réforme des retraites et son report de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans donnent déjà des sueurs froides tant aux services administratifs chargés de calibrer un système à la complexité folle qu’aux Français.
La course contre la montre est, en effet, engagée pour respecter le délai inscrit dans le texte de loi, à savoir le 1er septembre. Une date qui paraît de plus en plus difficile à tenir compte tenu des étapes à franchir. Il va falloir rédiger les décrets d’application de la nouvelle loi – une trentaine – qui fixent très précisément les modalités des nouvelles mesures (carrières longues, pénibilité, retraite minimale, etc.).
« Entre la loi et les décrets, il y a un monde », rappelait d’ailleurs le secrétaire de la CFE-CGC Jean-Philippe Tanghe. Des décrets que les syndicats ont promis d’examiner à la loupe et si besoin de les attaquer devant le Conseil d’État, rajoutant de fait des délais supplémentaires à l’entrée en vigueur de la réforme.
Une fois les décrets pris, il faudra encore former les milliers de salariés des caisses de retraite et mettre à jour les logiciels informatiques. Autant dire qu’il va y avoir à la rentrée une période de grand flottement. Emmanuel Macron ne s’y est d’ailleurs pas trompé, évoquant lundi soir une mise en place progressive à partir de l’automne.
La complexité de la bascule de l’ancien système au nouveau frappera aussi les Français, particulièrement ceux qui étaient tout près de la retraite ou qui avaient déjà préparé la liquidation de leurs droits. Un salarié né au premier semestre 1961 n’aura pas à travailler plus que ses 168 trimestres ; celui qui est né au second semestre, devra, lui, travailler un trimestre supplémentaire. Un salarié de 1964 fera deux trimestres de plus, son collègue né en 1965 trois… On mesure dès lors un élément clé de toute réforme des retraites sur lequel le gouvernement, noyé sous ses éléments de langage et ses approximations, n’a pas été capable de communiquer clairement et simplement : il y a autant de situations différentes que de salariés et si l’âge légal est fixé à 64 ans, les départs varient d’un salarié à l’autre, d’une situation à l’autre. Dès lors, pas étonnant que les Français, qui peinent parfois à obtenir des explications sur leur situation, continuent à rejeter cette réforme des retraites aussi « injuste » qu’illisible même après sa promulgation.
Alors que les syndicats appellent à poursuivre le combat et à ne pas tourner la page, le doute étreint jusqu’au sein de la majorité. Nostalgique de la réforme des retraites par points de 2017 – comme beaucoup de Marcheurs – François Bayrou, président du MoDem, concède qu’ « une autre réforme des retraites était possible. » D’autant qu’une étude assure que le régime des retraites restera déficitaire d’ici 2030 et même après avec un « trou » compris entre 7 et 20 milliards d’euros par an. Tout ça pour ça…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 20 avril 2023)