De tous les sondages qui ont été publiés ces dernières semaines, notamment depuis l’adoption sans vote de la réforme des retraites, et qui le placent dans les abîmes d’une impopularité historique, Emmanuel Macron peut retirer au moins un motif de satisfaction, donné par BVA : 60 % des Français estiment que le président de la République « a des convictions profondes », seule qualité en hausse dans le questionnaire. Et l’une de ses convictions, chevillée au corps depuis 2017, est que la France peut revenir au plein emploi, cet eldorado qui fleure bon les Trente glorieuses, et qui ne signifie pas la fin du chômage mais l’existence d’un « chômage frictionnel incompressible », soit un taux inférieur à 5 %.
À 7,2 % en France au 4e trimestre 2022 et (8,6 % en Occitanie), le pays, incontestablement, est sur la bonne voie : le taux de chômage était de 10,5 % au 2e trimestre 2015 avant d’entamer sa baisse, à peine contrariée par l’épidémie de Covid-19. Dès lors, on parle moins aujourd’hui de la « courbe du chômage » que François Hollande voulait « inverser » – ce qu’il réussit à faire, mais trop tard pour en tirer un crédit politique – que du retour au plein emploi. Cet objectif, fixé par Emmanuel Macron depuis six ans, se retrouve jusque dans l’intitulé du poste d’Olivier Dussopt – ministre du Travail et du plein emploi – et bientôt dans un projet de loi plein emploi qui pourrait être présenté en Conseil des ministres fin mai, avec la mesure phare de transformer Pôle emploi en France Travail.
On ne peut évidemment que se réjouir de cette baisse du chômage. Emmanuel Macron y voit bien sûr une conséquence de sa politique économique, des ordonnances travail de 2017 à la si contestée réforme des retraites censée booster l’emploi des séniors, en passant par la réforme de l’assurance chômage. Un résultat sur lequel le Président entend bien capitaliser ; il a d’ailleurs écrit lundi aux 200 000 militants de Renaissance pour leur demander d’aller sur le terrain pour vanter « six années de réussites ».
Mais si le plein emploi est « à notre portée » en France, selon l’expression d’Elisabeth Borne qui en fera aujourd’hui l’un des chantiers des « cent jours », il est aussi dû à une conjoncture favorable en Europe. « La reprise après la crise sanitaire a pris l’allure d’un V, et les principaux indicateurs du marché du travail sont à leur plus haut niveau depuis le début du siècle », a souligné un rapport d’Eurofound, l’agence de l’Union européenne chargée de l’amélioration des conditions de vie et de travail. « Pour la première fois depuis une génération, les pénuries de main-d’œuvre plutôt que le chômage – c’est-à-dire l’offre de travail plutôt que la demande – sont la préoccupation politique la plus urgente. » De fait, le chômage est plus faible aujourd’hui qu’avant la pandémie dans 19 pays sur 27 et 10 États membres sont déjà en situation de plein-emploi. Mieux, la baisse du chômage s’accompagne d’une hausse du taux d’emploi alors que la croissance reste timorée.
Ce plein emploi est donc différent de celui des années 70 tout comme le travail et le rapport que nous avons avec lui a radicalement changé dans notre société numérisée et archipélisée. La structure même des emplois a changé entre des emplois bien payés hyperqualifiés d’un côté et des emplois moins qualifiés de l’autre, dont certains ne permettent pas de sortir de la pauvreté. C’est cette articulation entre plein-emploi et niveau de vie qu’Emmanuel Macron doit résoudre pour que son pari de « pacte de la vie au travail » devienne vraiment un succès.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 26 avril 2023)