« Récoltes et semailles ». Tel est le titre d’un pavé de 2 500 pages que viennent de publier les éditions Gallimard au terme d’une folle épopée commencée en 1983. Il s’agit de l’œuvre posthume d'Alexandre Grothendieck, considéré comme l’un des plus grands mathématiciens du XXe siècle, qui révolutionna la géométrie algébrique comme Einstein la physique. Retiré en Ariège et vivant comme un ermite, ce géant des maths disparaît en 2014 dans une quasi-indifférence. Mais celui qui reçut la médaille Fields – le « Nobel » des maths – en 1966, laisse derrière lui quelque 70 000 pages manuscrites à déchiffrer et qui pourraient renfermer la clé de problèmes jusqu’ici restés insolubles.
L’histoire d’Alexandre Grothendieck illustre le paradoxe qui frappe la France. D’un côté, notre pays peut s’enorgueillir d’avoir 13 lauréats de la médaille Fields, de disposer de structures reconnues à l’international comme l’École normale supérieure de Paris ou l’institut Henri-Poincaré, et d’avoir donné à l’Histoire mondiale des sciences de grands noms comme Descartes, d’Alembert, Blaise Pascal, Condorcet ou plus récemment Laurent Lafforgue ou Cédric Villani. Et de l’autre côté, année après année, la France plonge dans les classements internationaux, Pisa ou Timms, en affichant des résultats calamiteux en mathématiques, bien en deçà de nos voisins européens ou loin de la moyenne des pays de l’OCDE…
Les raisons de cette baisse de niveau chez les élèves sont bien sûr multiples entre formation insuffisante de professeurs, manque de moyens et aussi développement d’un fort sentiment d’autodépréciation très répandu, tant chez les élèves que chez les adultes. Une récente enquête a bien montré que 85,9 % des jeunes interrogés disaient aimer les mathématiques… mais un élève sur deux ajoute qu’il en a peur.
Pour conjurer cette peur, refuser la fatalité et redonner le goût des maths à ceux qui n’en ont pas forcément la bosse, le rapport Villani-Torossian a proposé, en 2018, 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques. De la priorité dans le premier degré à la formation continue des professeurs, du renforcement des échanges avec les autres disciplines à la volonté d’ériger les maths en priorité nationale, le rapport était ambitieux pour redresser la barre.
C’était sans compter sur la réforme du bac. Soucieux de briser une sélection par les maths que certains dénonçaient depuis des lustres, Jean-Michel Blanquer a invisibilisé les mathématiques en les sortant du tronc commun d’enseignement. Le résultat, catastrophique aux yeux de l’ensemble des sociétés savantes et associations de mathématiques, ne s’est pas fait attendre sur les élèves qui font de moins en moins de maths et notamment les filles. Jean-Michel Blanquer vient d’admettre son mauvais calcul et entend mettre « plus de mathématiques » sans toutefois préciser comment. Il y a urgence car pour construire le monde de demain, celui de l’intelligence artificielle, des algorithmes, de la robotique ou de la réindustrialisation, nous aurons besoin d’ingénieurs, de mathématiciens qu’il nous faut former maintenant.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 9 février 2022)