La crise entre l’Ukraine et la Russie, qui pourrait se traduire dans les prochaines heures par l’invasion de l’une par l’autre, est aussi une bataille d’images. Mais bien plus que les images satellites montrant quelque 190 000 soldats russes, leurs chars, leurs camions ou leurs hélicoptères stationnés depuis plusieurs jours le long de la frontière entre les deux pays ; bien plus que celles montrant les populations ukrainiennes s’attendant au pire et se préparant à fuir la région du Donbass ou au contraire à résister pour défendre l’intégrité de leur territoire national ; ce sont les images diffusées par la télévision russe lundi soir qui permettent de mesurer toute la duplicité calculée de Vladimir Poutine.
Lundi soir, donc, dans l’immense salle Sainte-Catherine du Kremlin, celle-là même où il avait signé en 2014 l’annexion de la Crimée, Vladimir Poutine recevait son conseil de sécurité. Chacun des membres se présentait devant le président russe pour lui délivrer ses préconisations, d’évidence dictées au préalable. Lorsque le chef du Service des renseignements extérieurs, Sergueï Evguenievitch Narychkine, se présente face à Poutine, on le voit tétanisé, bafouillant, bredouillant et lâchant dans un incroyable lapsus « Je soutiens la proposition d’unir les Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk à la fédération de Russie » au lieu de simplement recommander, comme prévu, à Vladimir Poutine de reconnaître l’indépendance des deux républiques…
Pendant toute la séquence, on voyait Poutine sourire, visiblement satisfait de la peur qu’il inspirait à son subordonné, comme il doit sourire devant la naïveté de l’Occident, qui croyait encore à sa volonté de désescalade lorsqu’il avait accepté la veille un sommet avec Joe Biden sous la houlette d’Emmanuel Macron.
Une fois recueilli pour la forme les « recommandations » de son conseil de sécurité, Vladimir Poutine a donc pu signer son « pacte d’amitié » avec les présidents des deux républiques du Donbass convoqués pour l’occasion, puis tenir pendant 55 minutes un discours virulent à la télévision, réécrivant volontiers l’histoire de l’Ukraine, l’accusant de perpétrer un génocide ou de vouloir se doter de l’arme nucléaire.
Face à un tel discours complotiste, « une sorte de dérive idéologique » mêlant des considérations « rigides et paranoïaques » selon les mots cinglants d’Emmanuel Macron, il est désormais temps pour la communauté internationale de faire ce qu’elle a eu le tort de ne pas faire en 2014 lors de l’annexion de la Crimée : mettre un coup d’arrêt aux ambitions hégémoniques de Vladimir Poutine, qui entend d’évidence contester toutes les frontières nées de l’effondrement d’une Union soviétique dont il voudrait retrouver les contours.
Car dans cette crise, au-delà de la vie des citoyens ukrainiens, l’enjeu est bien celui de l’ordre mondial bâti sur le droit international et les droits de l’Homme. Un ordre multilatéral qui ne saurait s’aplatir devant les coups de force d’un pays qui ne respecte pas ses engagements internationaux et la brutalité d’un homme qui sourit.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 23 février 2022)