Lorsque l’actualité met au jour des dérives sectaires d’ampleur, immanquablement, nous repensons à toutes ces affaires qui ont marqué les esprits. À commencer par celle du Temple du Peuple, la secte fondée par le révérend Jim Jones en 1955 aux États-Unis, et qui s’acheva le 18 novembre 1978, à Georgetown, au Guyana, par la mort de 923 adeptes poussés au suicide collectif par leur gourou. Nous repensons aux suicides-massacres des membres de l’Ordre du Temple Solaire au Canada, en Suisse et en France entre 1994 et 1997. Nous repensons aussi à l’affaire des reclus de Monflanquin, onze membres d’une famille de notables bordelais tombés pendant dix ans sous la coupe d’un manipulateur hors pair qui, du Lot-et-Garonne à Oxford en Angleterre, va dépouiller ses proies sur lesquelles il exerçait une implacable emprise mentale. Toutes ces affaires, spectaculaires, hors normes, constituent néanmoins comme la partie émergée d’un iceberg car les phénomènes sectaires, l’emprise d’un homme ou d’une femme sur son semblable ou sur un petit groupe sont malheureusement très – trop – nombreux.
Car les gourous, pour préserver leur « business », savent parfaitement jouer avec les autorités sur la corde sensible en mettant en avant la liberté d’expression ou celle de croire. Le premier rapport sur le sujet remis par le député André Vivien en 1983 ne s’appelait-il pas « Les sectes en France. Expression de la liberté morale ou facteurs de manipulation ? » Face à la cohorte des manipulateurs, isolés ou parfaitement structurés dans de prétendues « églises », des hommes et des femmes se sont levés comme les députés Alain Gest et Jacques Guyard qui publièrent en 1996 un rapport sur l’Ordre du Temple solaire. À côté de remarquables associations qui aident les familles de proches sous emprise, on peut aussi citer l’engagement de Jean-Pierre Brard, Nicolas About, Catherine Picard, Georges Fenech, Philippe Vuilque, etc.
Leur implication dans la lutte contre les sectes a permis la création de l’Observatoire interministériel sur les sectes en 1996, puis de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) en 2002. Le transfert de la celle-ci de Matignon vers le ministère de l’Intérieur, au sein d’un secrétariat spécialisé dans la radicalisation (le CIPDR, Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation), fin 2019, a inquiété à juste titre de voir disparaître un outil plus nécessaire que jamais avant que le Premier ministre n’apporte des garanties.
Car le phénomène sectaire n’a cessé de croître : on estime à 500 le nombre de groupes sectaires, 500 000 le nombre d’adeptes et 60 000 à 80 000 le nombre d’enfants élevés dans un contexte sectaire. Selon la Miviludes, un quart des Français dit avoir été personnellement contacté par une secte et 20 % connaissent personnellement une ou plusieurs personnes victimes de dérives sectaires. La pandémie de Covid-19 avec ses confinements qui ont provoqué questionnements et peurs, n’a hélas pas arrangé les choses. Délaissant le spirituel au profit de la santé, du bien-être ou du développement personnel, de nouveaux gourous sont apparus, agissant de plus en plus au sein de communautés virtuelles sur internet. Autant dire que le combat de la société contre ces mouvements sectaires aliénant l’être humain sera de longue haleine.
(Editorial publié dans La D2pêche du Midi du dimanche 13 février 2022)