À la lecture de notre enquête et des témoignages ou des prises de position que nous publions dans nos colonnes aujourd’hui, que ce soient ceux des patientes atteintes de tumeurs cérébrales, ceux d’association d’aide aux malades ou ceux de médecins spécialistes, on reste saisi par une désagréable impression de déjà-vu. Un médicament largement prescrit, qui se révèle finalement plus dangereux que bénéfique et dont les patients qui le prennent, au pire ne sont pas informés des terribles effets secondaires, au mieux le sont avec des années de retard. Et on pense à ces scandales sanitaires récents du Mediator, du Lévothyrox, de la Dépakine, avec leurs cortèges de victimes et les longues batailles judiciaires face à des laboratoires qui restent dans le déni, droit dans leurs bottes à l’image de Jacques Servier. On pense aussi à celles et ceux qui ont permis, avec un courage et une force de caractère inouïs que la vérité sorte du brouillard et éclate en pleine lumière : le docteur Irène Frachon pour le Mediator, Marine Martin pour la Dépakine ; et à ceux qui les ont soutenues comme, à Toulouse, l’ancien député PS et médecin, Gérard Bapt, ou l’avocat Me Christophe Lèguevaques.
La Toulousaine Emmanuelle Choussy, qui a découvert après une IRM de contrôle qu’elle avait développé une tumeur au cerveau et qui nous livre son témoignage poignant, sera-t-elle de ces lanceuses d’alerte ? Le Lutényl – avec lequel elle a été traitée pendant dix-huit ans – et le Lutéran, ces deux progestatifs très utilisés par des femmes ayant des problèmes gynécologiques, s’ajouteront-ils à un nouveau scandale sanitaire en France ? Il est trop tôt pour le dire. Et même s’il y a des faisceaux d’indices graves et concordants, comme l’on dit en matière judiciaire, il convient de rester prudent, d’attendre les résultats de nouvelles études, de nouveaux examens, de nouvelles investigations menées par des experts indépendants ; et ce faisant d’observer un principe de précaution.
En attendant, cette nouvelle affaire montre combien les questions de bénéfices-risques et de transparence de l’information aux patients sont devenues cruciales et doivent être mieux prises en compte par la communauté médicale. Le temps des mandarins tout-puissants à la science infuse et prétendument infaillibles devant lesquels les patients devaient obéir est révolu depuis longtemps mais il persiste encore trop de poches de résistance, trop de mépris. De la même façon, le poids des lobbys pharmaceutiques sur la bonne marche des autorités de contrôle sanitaire – en France comme en Europe – qui s’est assorti parfois de pratiques corruptives ou de conflits d’intérêts patents, doit être urgemment freiné. Ensuite, les médecins eux-mêmes doivent sans doute être mieux accompagnés dans leurs prescriptions, mieux formés et informés sur l’évolution des connaissances sur les médicaments qu’ils administrent et les nouvelles molécules qui arrivent.
Enfin, et surtout, alors que les fake news en matière médicale explosent – on l’a vu avec la crise Covid sur les vaccins – il convient de renforcer la transparence dans l’information médicale donnée par les médecins à leurs patients. Seule cette transparence dans la chaîne médicale permet de maintenir une indispensable confiance.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 13 décembre 2021)