Sorti en 2013, le film « Her » (Elle) de Spike Jonze, romance de science-fiction se déroulant en 2025, préfigurait-il le devenir des applications de rencontre ? L’histoire est celle d’un écrivain public divorcé, incarné par Joaquin Phoenix, qui installe sur son smartphone une intelligence artificielle, baptisée Samantha, qui va tellement coller aux attentes de son propriétaire qu’il finit par en tomber amoureux à la grande inquiétude de ses amis. Le héros, qui pensait ainsi s’éviter la souffrance qui peut naître d’une relation avec une personne humaine, ne se rendra compte que bien plus tard de la réalité froide et mercantile qui se cache derrière l’avatar numérique si parfait.
Nous n’en sommes pas encore là mais force est de constater que depuis la mise en ligne, il y a bientôt vingt ans, de la première version du site de rencontres Meetic, la recherche d’une relation affective – ou sexuelle ne soyons pas naïf – est de plus en plus soumise à des algorithmes.
La personnalité des utilisateurs et utilisatrices et/ou leurs désirs les plus intimes sont ainsi passés au tamis informatique afin de remplir la promesse ultime de faire correspondre – matcher – deux profils aux caractéristiques plus que compatibles, similaires. L’ingéniosité des applications consistant à donner l’illusion du contrôle à celui ou celle qui, de clic en swipe, reste finalement enfermé, comme sur les réseaux sociaux, dans une bulle de filtre où le hasard n’a évidemment plus guère sa place.
La majorité des utilisateurs – et notamment les plus jeunes de la génération Z – ne sont dupes de rien et ont heureusement conscience de ces limites, savent les surmonter et en jouer pour redonner aux rencontres un marivaudage numérique que n’aurait pas renié Marivaux et dans lequel les femmes se retrouvent, aujourd’hui, sur un pied d’égalité avec les hommes.
Dans le paysage hyperconcurrentiel des applications de rencontres qui ciblent de plus en plus des créneaux spécifiques de la population (les jeunes, les seniors, etc.), la pandémie de Covid-19 a parachevé cette numérisation des relations. Confinements et couvre-feux ont d’ailleurs eu deux conséquences mesurées par l’Ifop. D’une part, une recherche de sérieux : les applications de rencontre ont été davantage activées dans l’optique d’une relation sérieuse (62 %) que pour une relation d’un soir (56 %). Et d’autre part une virtualisation plus poussée des relations. La plus forte tendance de l’étude de l’Ifop montre « l’explosion du nombre d’individus admettant avoir recherché sur ces plateformes une personne avec qui flirter en ligne mais sans chercher à se rencontrer en vrai » mais aussi l’explosion des rapports sexuels virtuels, qui ont été multipliés par cinq sur les six dernières années. Qu’en sera-t-il lorsque le Metavers, l’univers virtuel de Facebook sera en place ? « Her » était décidément bien visionnaire…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du dimanche 26 décembre 2021)