Dans la nuit du 20 au 21 juin 1791, Louis XVI, Marie-Antoinette et leur famille fuient Paris pour rejoindre le bastion royaliste de Montmédy, à partir duquel le monarque espérait lancer une contre-révolution. On sait ce qu’il advint et l’entreprise fut stoppée net à Varennes-en-Argonne. Ettore Scola en fit un excellent film "La nuit de Varennes".
Deux siècles plus tard, c’est à la fuite du roi déchu de l’automobile mondiale que nous assistons, médusés. Au nez et à la barbe des autorités japonaises qui l’avaient assigné à résidence après un long séjour en prison dans des conditions très difficiles, voilà que l’ancien PDG de Renault-Nissan, Carlos Ghosn, réussit une spectaculaire "grande évasion" vers sa patrie de cœur, le Liban, où il est considéré comme un héros et où il ne risque pas l’extradition vers le pays du Soleil levant qui, jadis, l’adulait pareillement.
De Beyrouth, Carlos Ghosn espère ainsi conduire, non pas une contre-révolution, mais en tout cas une contre-attaque en règle contre un système judiciaire japonais qu’il estime de son propre chef partial.
Dès lors, les deux hypothèses qui nourrissent cette rocambolesque affaire depuis l’arrestation du PDG fin novembre 2018 vont à nouveau s’affronter.
Soit Carlos Ghosn est coupable de malversations financières et de fraude fiscale comme le disent les procureurs japonais. Sera ainsi mis au jour tout le système qu’avait mis en place l’ex-PDG dont l’avidité et la folie des grandeurs ont été couvertes, en France comme au Japon, aussi longtemps que ce brillant polytechnicien faisait fructifier le groupe qu’il dirigeait d’une main de fer.
Soit Carlos Ghosn est innocent de ce dont on l’accuse. Et il apparaîtra comme la victime d’un sombre complot ourdi par ses anciens collaborateurs qui fermaient les yeux sur son luxueux train de vie pour mieux lui porter l’estocade le moment venu, c’est-à-dire lorsqu’il a appelé de ses vœux une nouvelle étape dans la fusion Renault-Nissan qui aurait lésé les Japonais.
Dans un cas comme dans l’autre, l’affaire Ghosn ne va pas redorer le blason du capitalisme international, qui semble s’affranchir de toutes les règles démocratiques, fiscales ou judiciaires, pour ne pas dire de la décence la plus élémentaire. Le destin hors normes de Carlos Ghosn fera peut-être un jour l’objet d’un film, film historique ou farce cynique, à l’image de l’un des films d’Ettore Scola, "Les nouveaux monstres."
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 1er janvier 2020)