"Mal nommer les choses, c’est participer au malheur du monde" disait Albert Camus. Mais il n’est pas toujours aisé de bien nommer les choses, et c’est tout l’enjeu de cette notion complexe de "radicalisation" – et son corollaire de "déradicalisation" – lorsqu’on l’applique à l’islam, à des jihadistes confirmés ou apprentis. Car deux écoles, pour le coup radicalement en désaccord, ont développé leur analyse du phénomène, récemment ravivé par la publication de deux livres. D’un côté, l’école de Gilles Kepel, qui estime que le jihadisme procède d’une "radicalisation de l’islam". Cette radicalisation passe par des figures tutélaires salafistes, des réseaux, des filières comme celle de Toulouse, des quartiers comme celui des Izards. Cette option est largement défendue par le livre d’Hugo Micheron "Le Jihadisme français : quartiers, Syrie, prison" (Ed. Gallimard). Le chercheur que nous avions récemment interviewé montre d’ailleurs combien les prisons françaises sont devenues des espaces de structuration, voire d’amplification de ce militantisme jihadiste.
De l’autre côté, on a la thèse d’Olivier Roy, qui estime, lui, que le jihadisme procède d’une "islamisation de la radicalité", c’est-à-dire que certains choisissent l’islam pour exprimer leur radicalité. Cette thèse est soutenue dans le dernier livre collectif dirigé par Bernard Rougier "Les Territoires conquis de l’islamisme" (Ed. PUF) qui veut montrer que la désagrégation des liens sociaux et politiques dans certains quartiers de banlieues constitue le terreau de la radicalisation islamiste.
Adhésion à une idéologie religieuse dans ses aspects les plus rigoristes ou révolte face à un environnement social donné, les deux pour s’orienter vers le jihad ? La guerre d’idées et la querelle d’analyses sont évidemment loin d’être réglées. Elles mettent aussi en exergue l’épineux dossier de la place de l’islam en France et sa compatibilité avec les principes de la République, qui constituent pour l’Etat, depuis plusieurs années, un vrai casse-tête. Un casse-tête qui, comme un aimant, attire toutes les polémiques et les outrances, celles de ceux qui crient à l’islamophobie à la moindre critique de la religion musulmane comme celles de l’extrême droite, qui fustige les prétendus dénis et naïveté des gouvernements successifs qui, pourtant, ont multiplié ces dernières années les lois pour lutter contre le terrorisme et les dispositifs pour endiguer la radicalisation dans et hors les prisons. Au centre, faut-il le rappeler, une large majorité de citoyens musulmans veulent vivre tranquillement leur foi comme doit le leur garantir l’Etat et la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat.
La radicalisation, quelle que soit la version de la définition qu’on en prendra, sera, on s’en doute, un thème du débat public dans les mois, les années qui viennent. Emmanuel Macron a promis d’embrasser tous ces sujets, assurant vouloir "dire sans diviser", mais refusant de faire un grand discours sur la laïcité, au prétexte qu’il l’aurait fait "40 fois". La 41e sera-t-elle celle de la clarté que les Français attendent quant à la vision présidentielle de la laïcité ?
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 30 janvier 2020)
De l’autre côté, on a la thèse d’Olivier Roy, qui estime, lui, que le jihadisme procède d’une "islamisation de la radicalité", c’est-à-dire que certains choisissent l’islam pour exprimer leur radicalité. Cette thèse est soutenue dans le dernier livre collectif dirigé par Bernard Rougier "Les Territoires conquis de l’islamisme" (Ed. PUF) qui veut montrer que la désagrégation des liens sociaux et politiques dans certains quartiers de banlieues constitue le terreau de la radicalisation islamiste.
Adhésion à une idéologie religieuse dans ses aspects les plus rigoristes ou révolte face à un environnement social donné, les deux pour s’orienter vers le jihad ? La guerre d’idées et la querelle d’analyses sont évidemment loin d’être réglées. Elles mettent aussi en exergue l’épineux dossier de la place de l’islam en France et sa compatibilité avec les principes de la République, qui constituent pour l’Etat, depuis plusieurs années, un vrai casse-tête. Un casse-tête qui, comme un aimant, attire toutes les polémiques et les outrances, celles de ceux qui crient à l’islamophobie à la moindre critique de la religion musulmane comme celles de l’extrême droite, qui fustige les prétendus dénis et naïveté des gouvernements successifs qui, pourtant, ont multiplié ces dernières années les lois pour lutter contre le terrorisme et les dispositifs pour endiguer la radicalisation dans et hors les prisons. Au centre, faut-il le rappeler, une large majorité de citoyens musulmans veulent vivre tranquillement leur foi comme doit le leur garantir l’Etat et la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat.
La radicalisation, quelle que soit la version de la définition qu’on en prendra, sera, on s’en doute, un thème du débat public dans les mois, les années qui viennent. Emmanuel Macron a promis d’embrasser tous ces sujets, assurant vouloir "dire sans diviser", mais refusant de faire un grand discours sur la laïcité, au prétexte qu’il l’aurait fait "40 fois". La 41e sera-t-elle celle de la clarté que les Français attendent quant à la vision présidentielle de la laïcité ?
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 30 janvier 2020)