L'émotion qui étreint les Français depuis l'annonce jeudi du décès de leur ancien Président Jacques Chirac a surpris par son ampleur ce week-end. L'hommage populaire voulu par la famille aux Invalides a, en effet, dépassé les attentes avec quelque 7 000 personnes venues s'incliner devant la dépouille de l'ancien chef de l'Etat jusqu'à tard dans la nuit. Cette ferveur, largement relayée sur les réseaux sociaux ou sur les chaînes d'information en continu, en a même agacé certains, goûtant peu que la mort de Jacques Chirac vire parfois à la chiracomania sans recul et éclipse toute autre actualité comme l'incendie de l'usine chimique de Rouen.
Si le décès de Jacques Chirac a pris autant d'ampleur, c'est parce qu'il illustre deux faits majeurs sur lesquels les Français s'accordent.
Le premier est que la disparition de Jacques Chirac est aussi celle d'une époque, presque d'un monde, « le monde d'hier » selon l'expression de Stefan Zweig. Un monde où les carrières politiques se construisaient sur plusieurs années, où un Président avait, avant de s'installer à l'Elysée, un très long parcours d'élu de terrain – voire de terroir – blanchi sous le harnais, fait de succès et d'échecs, de trahisons et de résurrections, de traversées du désert et de revirements. Jacques Chirac a été la quintessence de ces politiciens-là, le dernier Président « à l'ancienne » avec lequel la passion de la politique dévorait tout, une personnalité hors normes devenue familière, presque familiale pour plusieurs générations.
À l'heure de dire adieu à Jacques Chirac on repense alors au roman de Lampedusa : « Nous fûmes les guépards, les lions ; ceux qui nous remplaceront seront les petits chacals, les hyènes »… Le guépard Chirac s'en va, le vieux fauve laisse place, pour beaucoup, à une certaine nostalgie.
La seconde raison pour laquelle les Français se retrouvent autour de Jacques Chirac, c'est finalement leur immense besoin d'être ensemble, de faire nation. « Une nation est une âme, un principe spirituel » expliquait en 1882 Ernest Renan. « L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. »
Aux Invalides comme à Saint-Sulpice, à Paris comme en Corrèze, Jacques Chirac nous laisse au final en héritage ce message de rassemblement, sans lequel rien n'est possible pour une nation.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mardi 1er octobre 2019)