Régulièrement, Emmanuel Macron rappelle pour s'en désoler combien la parole officielle est devenue inaudible, combien les scientifiques peinent à être entendus et combien, a contrario, les fake news, les idées fausses pullulent sur les réseaux sociaux. Dans ces conditions fallait-il organiser à la va-vite un débat sur l'immigration au Parlement sans que ce dernier ne débouche sur un vote ? À l'heure où l'agenda parlementaire est surchargé fallait-il rajouter une telle séquence ? Enfin, y avait-il une impérieuse urgence à aborder ce thème qui – les sondages l'ont montré – n'est pas la priorité n° 1 des Français face au pouvoir d'achat ? Car s'il est un sujet qui concentre tous les fantasmes, toutes les approximations, toutes les contrevérités, tous les mensonges, toutes les peurs, toutes les haines, c'est bien celui de l'immigration.
Des anathèmes colportées depuis 40 ans par l'extrême droite – Front puis Rassemblement national dont c'est le fonds de commerce – aux élucubrations proférées par quelque Cassandre médiatiques xénophobes adeptes d'un illusoire Grand remplacement, l'immigration est devenue un sujet inflammable. Tellement inflammable que certains politiques ont cédé à la tentation de la surenchère démagogique pour de cyniques fins électoralistes ; sans que cela ne soit d'ailleurs couronné de succès. On se souvient, entre autres, du « bruit et l'odeur » de Jacques Chirac ou de la création du ministère de l'immigration et de l'identité nationale par Nicolas Sarkozy. Emmanuel Macron cède-t-il lui aussi à ces travers, au nom d'une triangulation politique, cette stratégie qui consiste à puiser dans les mots de l'adversaire pour le déstabiliser, quitte à renier son propre ADN ? On est en droit de s'interroger, car lorsque le Président oppose les « bourgeois qui ne croient pas à l'immigration » et « les plus pauvres qui en sont le réceptacle », il reprend peu ou prou le discours binaire d'une Marine Le Pen ou d'un Eric Zemmour.
Pour autant, là où le chef de l'Etat a parfaitement raison, c'est qu'il ne faut pas éviter la discussion sur l'immigration. Sachant, comme le disait Tocqueville, qu' « une idée fausse mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde qu'une idée vraie mais complexe », il convient d'aborder l'immigration, éminemment complexe, de façon sérieuse, apaisée, en se basant sur des faits, des statistiques précises comme celles d'Eurostat. C'est là la meilleure façon de bâtir – en lien avec nos voisins européens – des réponses en termes d'accueil, d'asile, d'intégration ; de construire des politiques qui tiennent compte des dérives et des abus s'ils existent, et qui regardent avec sang-froid et bienveillance les besoins qui s'expriment différemment dans nos territoires, avec à l'esprit la tradition humaniste d'accueil qui est historiquement celle de la France.
Car si on cite souvent Michel Rocard et son fameux « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde… », certains oublient souvent la :suite « mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part ».
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 7 octobre 2019)