Le rapport publié lundi 6 mai par les experts de l'ONU sur les menaces qui pèsent sur la biodiversité – un million d'espèces animales et végétales risque la disparition en raison de l'activité humaine – a remis en lumière un phénomène qui touche tous les pays et donc la France : l'« artificialisation des terres » (agricoles ou non). Derrière cette expression, qui correspond à un changement d'utilisation du sol engendrant une perte de ressources, se trouvent par exemple la transformation d'une forêt en champ, d'une zone humide en parking de supermarché, d'un pré en ferme photovoltaïque ou en centre commercial, et d'autres projets, parfois inutiles, comme le bétonnage d'un chemin pour remplacer une haie délimitant deux parcelles. Cette artificialisation menace clairement la biodiversité puisqu'en modifiant ou détruisant l'habitat de certaines espèces, on les condamne à fuir, à mourir et finalement disparaître. Sur le million d'espèces menacées, « 500 000 sont en danger parce que l'on bouleverse leur habitat », a rappelé Yann Wehrling, ambassadeur de France chargé des questions d'environnement dans les négociations internationales. Mais elle menace aussi notre propre autonomie alimentaire.
Il y a donc urgence. « La France a perdu un quart de sa surface agricole sur les cinquante dernières années », avait rappelé Emmanuel Macron lors de sa visite au Salon de l'agriculture. Aujourd'hui, l'équivalent de la superficie d'un département moyen est bétonné tous les 7 à 10 ans… Et la hausse de l'artificialisation dépasse celle de la démographie (13 % contre 5 %.) Selon les estimations de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), si la France continue à ce rythme, d'ici la fin du siècle, 18 % de son territoire sera artificialisé contre 9,7 % aujourd'hui.
Le sujet impose donc des mesures fortes et il est heureux qu'Emmanuel Macron en personne ait annoncé entre autres sa volonté d'«une réhabilitation des 20 à 25 % des sols agricoles dégradés par l'utilisation passée des phytosanitaires ». Mais le chemin sera long car lutter contre l'artificialisation des terres suppose de remettre à plat non seulement notre modèle agricole productiviste mais également notre mode de vie moderne où le besoin d'espace est toujours plus grand. L'enjeu est donc d'avoir une vision globale d'aménagement du territoire où la construction de nouveaux logements, de complexes commerciaux, des réseaux routiers soit repensée avec le souci permanent de l'équilibre écologique. « Construire, disait Marguerite Yourcenar, c'est collaborer avec la terre : c'est mettre une marque humaine sur un paysage qui en sera modifié à jamais. » Il faut aujourd'hui que l'Homme ait pleinement conscience de la marque qu'il laisse.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 10 juin 2019)