Accéder au contenu principal

Réguler

reseauxsociaux


L'attentat de Christchurch fera date. Pas seulement parce que cet acte terroriste perpétré le 15 mars dernier par un militant d'extrême droite en Nouvelle-Zélande contre deux mosquées, faisant 51 morts et des dizaines de blessés, a ému le monde entier, mais aussi parce qu'il constitue peut-être un tournant dans la lutte contre les contenus haineux et violents sur internet. Le fait que l'attaque terroriste a été filmée par celui-là même qui la commettait et que les images ont été diffusées en direct sur Facebook pendant 17 minutes avant que la vidéo ne soit retirée – laissant de fait largement le temps de la voir se dupliquer des milliers de fois – y est pour beaucoup.

Cette prise de conscience s'est traduite le 15 mai par l'Appel de Christchurch pour agir contre le terrorisme et l'extrémisme violent en ligne, lancé à Paris par la Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern et le président Macron. Ce texte non-contraignant – prélude d'ailleurs à une charte des pays du G7 – signé par plusieurs Etats et géants du Net sera-t-il suffisant ? Permettra-t-il d'endiguer le flot de haine, de racisme, d'homophobie, d'images violentes et d'activités délictueuses qui prospèrent sur les réseaux sociaux ?

Le succès dépendra de la mobilisation de trois acteurs. Le premier, ce sont bien sûr les Etats qui doivent afficher une volonté politique commune. Leur tâche est de créer un cadre réglementaire clair, des textes de loi précis et applicables. C'est possible : l'an dernier l'Union européenne a voté le Réglement général sur la protection de données (RGPD) des internautes qui fait école maintenant. Les Etats ne peuvent jouer les Ponce Pilate et confier aux seules plateformes numériques le soin d'organiser la suppression de tel ou tel contenu selon leurs critères. Mais la recherche du consensus est difficile. Les Etats-Unis de Donald Trump n'ont pas signé l'Appel de Christchurch…

Le second acteur, ce sont les géants du Net, les fameux GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft). Sous la pression de l'opinion, ils ont fait de louables efforts ces dernières années pour combattre les contenus haineux. Mais leur modération est encore insuffisante et surtout soumise à certains biais. Les algorithmes mis en œuvre pour supprimer les contenus violents restent secrets, les critères de suppression mouvants voire incompréhensibles. Il manque clairement de la transparence et de la cohérence. Il manque aussi la possibilité d'associer à la réflexion les plateformes plus modestes, qui peuvent vite devenir le repaire des groupes terroristes…

Enfin, troisième acteur et non des moindres, les utilisateurs eux-mêmes. Car si des contenus haineux deviennent viraux, c'est bien parce qu'ils sont relayés, repostés, retweetés par des internautes. Certains – à tort – le font de bonne foi pour partager leur indignation mais d'autres rediffusent sciemment textes, photos ou vidéos violentes. Les internautes doivent bien sûr être aidés pour signaler facilement ce type de contenus mais il est de leur responsabilité de ne pas les amplifier ; et cette responsabilité-là doit s'apprendre dès l'école.

La lutte contre les contenus violents, on le voit, ne sera efficace que si ces trois acteurs trouvent un équilibre entre l'extraordinaire liberté d'expression que permettent les réseaux sociaux et les limites légales sans lesquelles nous ne faisons plus société.

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 3 mai 2019)

Posts les plus consultés de ce blog

La messe est dite ?

    L’entourage de François Bayrou a beau tenter d’expliquer que l’échec du conclave sur les retraites n’est imputable qu’aux seuls partenaires sociaux qui n’ont pas réussi à s’entendre en quatre mois pour « améliorer » la contestée réforme des retraites de 2023, la ficelle est un peu grosse. Car, bien évidemment, cet échec – hélas attendu – est aussi celui du Premier ministre. D’abord parce que c’est lui qui a imaginé et convoqué cette instance inédite de dialogue social et qu’il aurait naturellement revendiqué comme le succès de sa méthode un accord s’il y en avait eu un. Ensuite parce qu’il n’a pas été l’observateur neutre des discussions, qu’il promettait « sans totem ni tabou ». Il a au contraire, plusieurs fois, interféré : dès leur lancement en les corsetant par une lettre de cadrage imposant de ne pas créer de dépenses et d’équilibrer les comptes à l’horizon 2030 ; ensuite par son refus de voir abordé l’âge de départ à 64 ans, point centra...

Machine à cash et à rêves

Qui n’a jamais rêvé d’être un jour le gagnant du loto, que l’on soit celui qui joue depuis des années les mêmes numéros en espérant qu’un jour ils constituent enfin la bonne combinaison ou que l’on soit même celui qui ne joue jamais mais qui se projette malgré tout dans la peau d’un gagnant, énumérant ce qu’il ferait avec ces centaines de millions d’euros qui grossiraient son compte en banque. Chacun se prend ainsi à rêver de vacances éternelles au soleil, de voyages au long cours, de montres de bijoux ou de voitures de luxe, de yachts XXL naviguant sur des mers turquoise, de grands restaurants étoilés ou plus simplement de réaliser ses projets longtemps différés faute de financements, de l’achat de sa maison au lancement de son entreprise, ou encore de partager ses gains avec sa famille ou avec ses collègues avec lesquels on a cotisé pour acheter le bulletin. Le loto, c’est une machine à rêver à laquelle chacun s’est adonné une fois dans sa vie et qui rythme toujours le quotidien des ...

Sortir des postures

Le cortège d’une manifestation ou un rassemblement pour fêter la victoire d’un club sportif qui se terminent par des émeutes, des dégradations de mobilier urbain et de vitrines de magasins, parfois pillés, et des attaques violentes des forces de l’ordre par des hordes encagoulées dans un brouillard de gaz lacrymogènes… Les Français se sont malheureusement habitués à ces scènes-là depuis plusieurs décennies. Comme ils se sont aussi habitués aux polémiques politiciennes qui s’ensuivent, mêlant instrumentalisation démagogique, règlement de comptes politiques et critiques d’une justice supposément laxiste. Le dernier épisode en date, qui s’est produit samedi soir à Paris à l’occasion de la victoire du PSG face à l’Inter Milan en finale de la Ligue des champions, ne fait, hélas pas exception à la règle. Au bilan édifiant – deux morts, des dizaines de blessés, plus de 600 interpellations, des rues et magasins saccagés – s’ajoutent désormais les passes d’armes politiques. Entre l’opposition e...