Après quatre semaines d’audiences, l’un des plus médiatiques procès de ces dernières années s’achève aujourd’hui devant la cour d’assises du Tarn. Dans quelques heures, Cédric Jubillar, accusé du meurtre de sa femme Delphine, disparue dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020, connaîtra son sort, entre la réclusion criminelle que les procureurs ont requis contre lui pour trente ans, en dépit de l’absence de corps, ou l’acquittement qu’ont plaidé hier les deux avocats du peintre-plaquiste.
On peut d’abord se féliciter de la façon dont ces quatre semaines de procès ont été organisées et remarquablement conduites par la présidente Hélène Ratinaud. À l’heure où la justice est attaquée de toutes parts, ou certains estiment que l’État de droit n’est « pas intangible », où des magistrats sont menacés, parfois de mort, pour avoir simplement appliqué la loi, le procès Jubillar a démontré que la justice française se rend dans des conditions dignes, respectueuses et sereines, loin de tout emballement ou toutes pressions médiatiques ou politiques. C’est une leçon qu’on ne peut pas ne pas évoquer.
Ces quatre semaines intenses ont été marquées par des moments forts – les témoignages poignants des proches et de la famille de Delphine, celui de la mère de l’accusé ou les paroles des enfants lues par leurs avocats – et des rebondissements – le numéro de téléphone de l’amant copié-collé par un gendarme ou les expertises techniques sur les lunettes de Delphine. Dans son box, l’énigmatique Cédric Jubillar a maintenu son innocence — « je ne l’ai pas tuée, je le martèlerai jusqu’au bout » – sans qu’aucune émotion ne semble percer de son visage de cire ni de ses paroles.
Ce matin, les six jurés se réuniront et reviendront sur ces quatre semaines de procès. Que vont-ils en retenir pour forger leur intime conviction, « avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre » selon le serment qu’ils ont prêté en s’installant dans le prétoire du tribunal d’Albi le 22 septembre dernier ? Les moments forts, les paroles des témoins, des experts, de l’accusé, le réquisitoire des avocats généraux, les plaidoiries des parties civiles ou de la défense ? Ou encore l’ambiance si particulière d’un procès d’assises où se pressaient 300 journalistes accrédités pour en suivre les débats ?
Il y a là une part de mystère car rien n’est écrit à l’avance, rien n’est automatique. « La conviction des jurés se forge beaucoup sinon définitivement au cours des débats. La plaidoirie rassemble les derniers arguments, permet de réfuter la démonstration de l’avocat général mais il arrive souvent qu’en réalité la conviction soit faite avant même que commence l’heure de l’éloquence », avait raconté Robert Badinter, le ministre de la Justice qui abolit la peine de mort, mais qui fut avant cela le grand avocat pénaliste d’accusés qui risquaient alors la peine capitale.
Ce matin, les jurés vont devoir dire si Cédric Jubillar a tué son épouse et si oui quelle peine il mérite. Cette responsabilité-là est écrasante ; tamiser les certitudes et les doutes est immensément complexe ; et tenir le destin d’un homme entre ses mains les marquera à vie. « Il est effrayant de penser que cette chose qu’on a en soi, le jugement, n’est pas la justice. Le jugement, c’est le relatif. La justice, c’est l’absolu. Réfléchissez à la différence entre un juge et un juste », écrivait Victor Hugo dans « L’homme qui rit ». Ce matin, les jurés, citoyens ordinaires devenus acteurs d’un procès extraordinaire, ont la lourde tâche de tendre vers l’absolu et d’être justes…
(Editorial dans La Dépêche du Midi du vendredi 17 octobre 2025)