À Berlin, le congrès 2025 de la Société européenne d’oncologie médicale (ESMO) a livré le visage d’une cancérologie en pleine mutation. Derrière les chiffres et les graphiques s’est ainsi esquissée une médecine toujours plus ciblée, combinatoire et individualisée. Une médecine qui, pour la première fois, semble en mesure de transformer en chroniques des maladies longtemps considérées comme fatales.
Les avancées les plus commentées concernent les anticorps conjugués – ces « chevaux de Troie » capables de délivrer un médicament cytotoxique directement au cœur des cellules tumorales. Pour les cancers du sein métastatiques ou certaines tumeurs solides, les résultats de survie sont spectaculaires : tolérance améliorée, rechutes retardées. Dans le même mouvement, plusieurs essais de phase 3, comme l’étude ALEX sur les cancers pulmonaires ALK +, confirment l’efficacité de molécules ciblées telles que l’alectinib. Ces progrès ne sont plus l’apanage d’une poignée de laboratoires et l’Europe, la France surtout, s’y imposent comme pôles d’excellence, avec l’Institut Curie, Gustave Roussy ou l’Oncopole toulousain.
Mais la véritable révolution se joue désormais dans la convergence entre la biologie et la donnée. L’intelligence artificielle s’invite, en effet, au cœur du diagnostic, de la prédiction de réponse et du suivi des rechutes. Elle apprend à lire les images, à croiser les biomarqueurs, à repérer les signaux faibles qu’aucun œil humain ne pourrait déceler. L’ère de la médecine de précision devient réalité avec un traitement pour un patient donné, à un moment donné, fondé sur son profil génétique et son histoire clinique. L’ESMO 2025 a aussi mis en lumière le rôle croissant des études en vie réelle, où les données issues des hôpitaux et registres nationaux redessinent la carte de l’efficacité thérapeutique au-delà des protocoles expérimentaux.
De la vessie au pancréas, du sein au mélanome uvéal, chaque spécialité entre ainsi dans une nouvelle ère. Les immunothérapies combinées à la chirurgie ou à la chimiothérapie ouvrent de nouvelles perspectives ; les vaccins anticancéreux et la modulation de l’inflammation sont les prochains chantiers.
Pourtant, l’enthousiasme scientifique ne saurait occulter la réalité humaine. En France, le cancer demeure la première cause de mortalité : plus de 433 000 nouveaux cas par an et 162 000 décès. Les progrès sont tangibles – 88 % de survie à cinq ans pour le sein, 93 % pour la prostate –, mais les écarts restent abyssaux : seulement 20 % pour le poumon, 11 % pour le pancréas. Derrière les statistiques, il y a des visages, des familles, des combats quotidiens.
La recherche avance, mais le soin doit suivre. Accompagner mieux, écouter davantage, prévenir plus tôt : tels sont les défis de la décennie. Si 60 % des cancers sont aujourd’hui guérissables, l’ambition des chercheurs est d’atteindre 75 % d’ici 2035. Pour cela, il faut une mobilisation collective : soignants, chercheurs, pouvoirs publics, associations, entreprises, citoyens. En ce mois d’Octobre Rose, symbole de la lutte contre le cancer du sein, la société tout entière est appelée à se souvenir que derrière chaque prouesse médicale, il y a une histoire humaine et que le vrai progrès se mesure à la qualité de vie rendue à tous ceux qui luttent contre la maladie.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mardi 28 octobre 2025)
