En se définissant lui-même comme moine-soldat, Sébastien Lecornu avait attiré l’attention de l’opinion et des oppositions sur le côté moine – dévot du macronisme et disciple zélé du président de la République. Hier à l’occasion de son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale, il vient de donner à voir son côté soldat et on mesure que le Premier ministre a sans doute retenu de son passage au ministère des Armées quelques leçons de tactiques militaires. Comme la défense élastique, qui consiste à céder temporairement du terrain à l’adversaire sans rompre la cohésion des forces pour préparer d’autres combats…
La suspension de la réforme des retraites, après l’abandon du recours à l’article 49.3 qui permet une adoption sans vote, peut ainsi être lue à cette aune. Totem du macronisme, seule réforme tangible du chaotique second quinquennat d’Emmanuel Macron, cette réforme est devenue le nœud gordien de la vie politique française au détriment de tant d’autres sujets capitaux pour l’avenir du pays. Adoptée sans débat et sans vote avec justement le 49.3, dénoncée unanimement par tous les syndicats pendant des semaines de manifestations monstres et de journées de grèves, contestée par une écrasante et constante majorité de Français, la réforme des retraites de 2023 est devenue – à tort ou à raison – le symbole d’un pouvoir arrogant, incapable d’écouter son peuple ni les partenaires sociaux.
Échaudés par l’interminable conclave concocté par un François Bayrou qui semblait désireux de gagner du temps et escomptait concéder seulement des modifications à la marge, les syndicats et les oppositions n’ont cessé de réclamer l’abrogation ou la suspension de la réforme honnie. Crise politique oblige, ils ont été rejoints par celle qui a donné son nom à la réforme, l’ancienne Première ministre Elisabeth Borne – un crime de lèse-majesté qui lui a coûté son poste gouvernemental – et même par le tout récent prix Nobel d’Économie Philippe Aghion, pourtant peu suspect d’anti-macronisme primaire.
En reculant sur la réforme des retraites, Sébastien Lecornu fait donc tout simplement preuve de sagesse… mais aussi d’habileté. En répondant favorablement aux exigences du PS, dont le groupe parlementaire avait la clé de la censure à l’Assemblée, le Premier ministre piège les socialistes : comment eux, qui se veulent parti de gouvernement, pourraient justifier une censure avant l’examen du budget puisque leurs exigences ont été satisfaites ? Et de fait, tout en revendiquant une victoire, ils ont été contraints hier d’annoncer qu’ils ne censureraient pas…
Ce joli coup de Sébastien Lecornu ne le préserve toutefois pas de la censure qui pourrait se jouer à quelques voix près. Une motion de censure transpartisane déposée par le groupe LIOT en mars 2023 avait été rejetée à 9 voix près… Jeudi, des frondeurs au PS, des francs-tireurs à droite, des électrons libres chez les non-inscrits, une partie des LIOT peuvent compléter le décompte jusqu’aux 289 voix nécessaires. Si demain, Sébastien Lecornu survit à la censure, nul ne dit qu’elle n’interviendra pas plus tard lorsqu’il faudra plonger dans un budget dont les principales mesures ressemblent furieusement à celles du budget Bayrou…
Le Premier ministre a martelé hier à plusieurs reprises « le gouvernement proposera, nous débattrons, vous voterez ». Manière peut-être de rappeler sa volonté de revenir – enfin – à cette démocratie parlementaire qu’Emmanuel Macron a trop souvent méprisée. Manière aussi de se préparer à un débat budgétaire qui aura tout, dans une Assemblée d’accord sur rien, d’une guerre d’usure…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 15 octobre 2025)