Il est des temps que nul ne maîtrise. Celui de la justice, notamment, échappe aux horloges de l’actualité, aux emballements de l’opinion, aux impatiences médiatiques. Il avance à son rythme, méthodique, souvent lent, parfois désespérément long. Mais ce temps-là, qu’on accuse d’être « hors du monde », est précisément ce qui le protège des passions humaines. Car la justice n’a pas vocation à répondre à la hâte aux émotions de l’opinion ou aux impatiences des chaînes d’info en continu, mais à la rigueur du droit.
Pour les familles de victimes, ce temps est évidemment une interminable attente. Dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020, Delphine Jubillar disparaissait dans le Tarn. Presque cinq ans plus tard, son mari, Cédric, vient d’être condamné à trente ans de réclusion criminelle. Et déjà, un nouvel horizon judiciaire s’ouvre : l’appel, prévu courant 2026. Pour lui, ce délai est une chance ; celle de rejouer sa défense. Pour les proches de Delphine, en revanche, c’est un nouveau cycle d’attente, un sursis douloureux. Entre l’envie de tourner la page et la peur qu’elle se rouvre, le temps de la justice devient un temps suspendu.
À l’opposé, certains voudraient accélérer le cours du temps judiciaire… qu’ils ont eux-mêmes ralenti. Nicolas Sarkozy, condamné à cinq ans de prison pour association de malfaiteurs dans le dossier du financement libyen de sa campagne de 2007, a ainsi multiplié pendant des années les recours, les exceptions, les manœuvres procédurales pour gagner du temps. Aujourd’hui incarcéré à la prison de la Santé, celui que ses soutiens présentent en martyr et en victime – au mépris des seules vraies victimes du dossier, celles du vol du DC10 d’UTA, ciblé par un attentat terroriste planifié par la Libye de Kadhafi – plaide pour que la justice se hâte. Ce renversement illustre le paradoxe d’une époque où l’on dénonce la lenteur d’une institution dont on a méthodiquement usé les délais. La justice, tel un miroir, renvoie à chacun sa propre stratégie, ses contradictions et, finalement, son rapport au temps.
Et puis il y a le temps long, celui qui dépasse une vie humaine. Dans l’affaire Grégory, quarante et un ans après le drame, la justice vient de mettre en examen la grand-tante de l’enfant pour association de malfaiteurs criminels. Quatre décennies de rebondissements, d’erreurs, de soupçons, de déchirements. Quarante et un ans pour tenter de faire la lumière sur un crime qui hante la mémoire collective. La lenteur, ici, n’est pas synonyme d’injustice mais témoigne de l’obstination d’un État de droit qui, même meurtri par ses propres failles, continue à chercher la vérité.
Le temps judiciaire – qui s’étire parfois en longueur pour des magistrats dévoués mais encore en manque de moyens – n’obéit ni à la tyrannie du direct, ni à la pression du tweet. Il se construit sur des faits, des preuves, des contre-enquêtes, des débats contradictoires. Il protège la société contre la tentation d’une justice expéditive, toujours tentante mais jamais juste. Car juger, ce n’est pas venger.
Alors oui, la lenteur de la justice agace, blesse parfois, mais elle est le prix de sa légitimité. Dans un monde saturé de réactions instantanées, le temps judiciaire demeure l’un des derniers espaces où la raison tente de dominer la pulsion. Et s’il est lent, c’est peut-être parce qu’il doit être juste, avant d’être rapide.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du dimanche 26 octobre 2025)
