Après une semaine de psychodrame où l’on a vu un Premier ministre démissionner 14 heures après avoir dévoilé son gouvernement – un record – puis être renommé comme si de rien n’était quatre jours plus tard, il aurait été insupportable et ridicule pour une France à cran de patienter des jours pour connaître qui allait gouverner le pays. Par chance, Emmanuel Macron devant partir hier soir en Égypte, le calendrier n’a pas subi sa procrastination légendaire et le gouvernement Lecornu II a été présenté hier à 22 heures.
Une équipe accouchée au forceps tant la composition relevait du casse-tête : comment composer un gouvernement qui puisse éviter une motion de censure dès cette semaine, qui soit « libre » et exempt de personnalités dont l’agenda serait rivé sur la présidentielle de 2027 ? Comment bâtir une équipe crédible alors même que les partis qui composaient le « socle commun » sur lequel s’étaient appuyés Michel Barnier et François Bayrou ont été incapables de s’entendre, minés par les ambitions de leurs chefs et par les appétits de certaines personnalités francs-tireuses ? Et comment compter sur ces partis, fracturés par des divisions internes, particulièrement chez LR ?
Sébastien Lecornu – dont la bonne volonté est saluée par un sondage dans lequel il gagne 11 points de popularité – a donc tenté la seule option possible : celle du gouvernement technique. Ainsi après les gouvernements macronistes où il fallait « être fier d’être des amateurs » pour reprendre une expression d’Emmanuel Macron, après le gouvernement de poids lourds de François Bayrou dont on a vu la piètre efficacité, voilà le gouvernement d’experts, comme cela s’est pratiqué en Europe du Nord et en Italie.
Plusieurs hauts fonctionnaires se retrouvent ainsi appelés à la rescousse pour redresser le pays… si tant est qu’ils en aient le temps au vu de la menace de censure qui plane. Évidemment, un gouvernement technique peut être séduisant. Éloigné des luttes partisanes, il peut agir de manière plus rationnelle, peut-être plus neutre et donc dégager le consensus introuvable depuis 2024 voire 2022. Le problème est qu’un gouvernement technocratique est certes légitime mais bien peu démocratique puisqu’il ne traduit pas un choix électoral direct. En dépolitisant les décisions qu’il est amené à prendre, il finit aussi par travestir les règles politiques : un budget, une politique éducative ou économique, ne sont jamais neutres, elles traduisent des orientations politiques. Enfin, un gouvernement technique est loin d’être la garantie de faire barrage à l’extrême droite. En Italie, après le gouvernement technique de Mario Draghi, c’est Giorgia Meloni, issue du parti post-fasciste MSI qui est arrivée au pouvoir…
Mais le gouvernement Lecornu II n’est pas totalement technique et on retrouve des ministres qui étaient déjà en poste : Rachida Dati, Catherine Vautrin, Gérald Darmanin… même si d’autres – trop critiques ? – ont été brutalement limogés comme Elisabeth Borne. Comment dès lors expliquer aux Français que cette équipe baroque incarne vraiment la « rupture » promise sur le fond et la forme et non la continuité des politiques macronistes menées depuis 2017 ? Le moine-soldat de Matignon revisite ainsi la célèbre formule du Guépard – « Il faut que tout change pour que rien ne change » – mais propose davantage une illusion de changement ; « Pour que rien ne change, ne rien changer… »
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 13 octobre 2025)