Michel Barnier sera-t-il toujours Premier ministre à Noël ? Son fragile gouvernement, dont certains ministres n’hésitent plus à le défier quand ils ne tirent pas à hue et à dia, passera-t-il les fêtes ? Ou la censure viendra-t-elle mettre fin à cet attelage brinquebalant « soutenu » par les formations d’un « socle commun » qui ont de moins en moins de choses en commun ?
Depuis la nomination de l’ancien négociateur du Brexit à Matignon après un été d’interminables tergiversations d’Emmanuel Macron – dont la catastrophique dissolution a précipité le pays dans une situation inextricable – chacun sait bien que la censure est une épée de Damoclès au-dessus de Michel Barnier, sous « surveillance » des troupes de Marine Le Pen. Stoïque, l’intéressé a d’ailleurs toujours dit qu’il pouvait s’en aller du jour au lendemain, et que contrairement aux hiérarques de sa majorité – Laurent Wauquiez, Gabriel Attal, Gérald Darmanin, Edouard Philippe… – il n’avait pas d’agenda caché pour la présidentielle de 2027. Ses premiers pas, accomplis avec la bienveillance des Français, laissaient même entrevoir un trou de souris par lequel le Savoyard pouvait passer pour que son gouvernement survive au Budget et voit le printemps.
Las ! La situation s’est singulièrement tendue en deux mois à peine. Les débats confus sur les textes budgétaires à l’Assemblée ont donné lieu – pour arriver à 60 milliards d’euros d’économies afin de combler les déficits abyssaux des comptes publics – à un festival de propositions, de taxes, de coups de rabots, de zigzags, de volte-face. Tant et si bien que plus personne n’y comprend rien et les Français s’y sont perdus, ne sachant plus quels impôts ils paieront au final. À cet infernal budget s’ajoute un vent de colères : celles des agriculteurs ; celles des salariés – 300 000 peut-être – qui vont être victimes de plans sociaux ou celle des fonctionnaires méprisés par leur propre ministre ; celles des élus locaux, ulcérés de devoir faire des milliards d’économies pour renflouer l’État, eux qui rendent chaque année des budgets locaux à l’équilibre.
À côté de ce tableau déjà explosif, Michel Barnier doit gérer les états d’âme et les ambitions de sa majorité relative dont les chefs veulent obtenir leur petite victoire. Laurent Wauquiez se gargarise d’avoir allégé les ponctions sur les retraites, Gabriel Attal – pourtant comptable des déficits actuels comme l’a démontré de façon accablante le Sénat – veut la sienne sur les exonérations de cotisations patronales. Et Marine Le Pen entend elle aussi obtenir quelque chose. La cheffe de file des députés RN – contre laquelle une peine d’inéligibilité a été requise dans le procès des assistants parlementaires du parti d’extrême droite – a changé de braquet et se dit désormais prête à voter la censure, tout comme le Nouveau front populaire.
En admettant qu’il ne s’agisse pas d’un coup de bluff du RN et que le NFP vote d’un seul homme, qui remplacerait ensuite Michel Barnier, censuré après un 49.3 ? Et avec quelle majorité sachant que l’Assemblée sera la même, puisqu’elle ne peut pas être dissoute d’ici l’été 2025 ? Certains imaginent un gouvernement Barnier II, d’autres le retour de Lucie Castets, de Bernard Cazeneuve ou de Raphaël Glucksmann, d’autres encore un gouvernement purement technique pour gérer le pays en attendant 2027, et Jean-Luc Mélenchon rêve de voir Emmanuel Macron démissionner et provoquer une présidentielle anticipée…
Comment finira cet immense jeu de dupes où le sens de l’intérêt général semble s’effacer devant les ambitions électoralistes et parfois infantiles ? Personne ne le sait. Les Français sont fondés à se demander : y a-t-il des adultes dans la pièce ?
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du dimanche 24 novembre 2024)