Depuis bientôt trois ans, l’Ukraine livre une bataille acharnée contre l’agression de la Russie qui a envahi son territoire et en occupe désormais quelque 20 %. Mais cette guerre, qui se joue aux portes de l’Europe, n’est pas seulement un conflit territorial : c’est un conflit où s’affrontent des conceptions divergentes de l’ordre international, c’est un duel entre deux visions du monde, entre l’autoritarisme et sa loi du plus fort et la démocratie et la défense de la liberté et du droit international.
La France, l’Europe et l’OTAN se sont engagées aux côtés de l’Ukraine dans ce que l’on peut qualifier de guerre par procuration, fournissant une aide militaire, financière et diplomatique cruciale à Kiev, dont la résistance et la résilience forcent le respect mais qui semblent arriver au bout d’un cycle. Depuis l’échec de sa grande contre-offensive de printemps qui s’est fracassée sur les solides défenses russes et en dépit de l’inattendue incursion dans la région de Koursk, l’Ukraine est confrontée à de colossaux défis : mobiliser et renouveler ses troupes sur un front qui s’étire sur près de 1 300 kilomètres, où les pertes humaines sont considérables.
Malgré le courage, l’ingéniosité et la détermination du peuple et des soldats ukrainiens, la réalité démographique et logistique impose ses limites. C’est dans ce contexte que l’idée d’un soutien militaire plus direct, c’est-à-dire l’envoi de troupes au sol revient dans le débat. Emmanuel Macron avait brisé ce tabou en février, s’attirant de multiples critiques de nos alliés et l’hostilité belliqueuse et menaçante de Vladimir Poutine. Le Président français, isolé, avait justifié ses propos par la nécessité d’entretenir « une ambiguïté stratégique. »
Le retour prochain de Donald Trump à la Maison Blanche, qui pourrait se traduire par un désengagement des États-Unis dans leur aide à l’Ukraine, conduit les alliés à se poser à nouveau la question : faut-il franchir le pas et envoyer des troupes au sol combattre aux côtés des Ukrainiens ? Cette question a été abordée lors de la visite du Premier ministre Ker Starmer en France à l’occasion du 11-Novembre. Paris et Londres réfléchissent à prendre la tête d’une coalition en Ukraine qui pourrait s’appuyer sur l’envoi de troupes occidentales et/ou de sociétés de défense privées, dont certaines ont déjà formulé des offres de service.
L’envoi de troupes sur le terrain – qui ne consiste pas forcément à des soldats sur la ligne de front mais à des soutiens – teste évidemment les limites de la co-bélligérance que les Occidentaux ont toujours prises en compte, notamment en raison de l’hostilité des opinions publiques – 68 % des Français sont contre selon un sondage CSA paru hier. La crainte d’une escalade du conflit et d’un affrontement direct avec la Russie est tangible et pourtant, n’est-ce pas précisément cette peur qui encourage le Kremlin à poursuivre son agression ou à en imaginer d’autres ? La décision n’est pas facile à prendre et si une intervention directe pourrait consolider l’unité européenne face à la menace russe, elle pourrait aussi précipiter une confrontation dont l’issue serait incertaine.
Au final, au-delà des seuls aspects militaires ou géopolitiques, se pose aujourd’hui la même question qu’au premier jour de l’invasion russe : quels sacrifices sommes-nous prêts à faire pour aider les Ukrainiens qui défendent leur souveraineté, leur liberté, ce en quoi nous croyons ? Quel est le prix de la liberté ?
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 29 novembre 2024)