La liste macabre ne cesse de s’allonger. Des prénoms, des visages, des vies brisées. Derrière chaque suicide d’adolescent victime de harcèlement scolaire se cache l’échec collectif d’une société qui n’a pas su protéger ses enfants. Les chiffres sont glaçants : selon les dernières études, près d’un élève sur dix est victime de harcèlement en France. Plus inquiétant encore, 22 % des collégiens déclarent avoir subi du cyberharcèlement en 2023, une hausse de six points en deux ans.
Face à cette situation alarmante, les réponses institutionnelles semblent toujours en décalage avec la réalité du terrain. Le programme Phare, généralisé depuis 2022, existe, mais est-il assez efficace ? Les formations promises aux enseignants sont prévues, mais ne sont-elles pas trop théoriques ? Le plus révoltant dans ce tableau déjà sombre reste le peu d’action des géants du numérique. Sur TikTok, Instagram ou Snapchat, les contenus humiliants circulent toujours pendant des heures, parfois des jours, avant d’être modérés… quand ils le sont. Ces plateformes, qui engrangent des milliards de bénéfices, se contentent de communiqués de presse convenus lorsqu’un drame survient. Leur responsabilité est pourtant écrasante : 85 % des cas de harcèlement scolaire comportent désormais une dimension numérique.
L’administration scolaire, elle, continue de privilégier une approche encore trop bureaucratique qui confine parfois à l’absurde. Combien de familles rapportent encore des réunions stériles où l’on minimise les faits, des mutations qui pénalisent la victime plutôt que les harceleurs, des signalements qui se perdent dans les méandres administratifs ? La création d’une cellule dédiée dans chaque rectorat ne suffit pas si les moyens humains ne suivent pas.
Il est temps de changer radicalement de paradigme et d’engager une révolution car le harcèlement scolaire n’est pas une fatalité, encore moins une étape normale de la construction adolescente comme certains voudraient encore le faire croire. C’est un fléau qui détruit des vies et dont les séquelles peuvent persister pendant des décennies.
L’ancien Premier ministre Gabriel Attal, qui a confié avoir lui-même été un élève harcelé et avait demandé un « électrochoc » sur le sujet lorsqu’il était ministre de l’Éducation nationale, vient de lancer une fondation, « Faire face », pour lutter contre le harcèlement et le cyberharcèlement scolaires. Certains estimeront qu’à Matignon il avait tous les moyens pour lancer une solide politique publique et que la création de sa fondation, qui lui offre une séquence médiatique valorisante, intervient au moment où l’action de l’ex-majorité est fortement critiquée. Qu’importe au final ; que Gabriel Attal fasse de la politique ou de la communication, son engagement sur ce sujet est sincère et utile. Car face à ce fléau, la mobilisation doit, en effet, être large, puissante, diverse et la réponse à la hauteur de l’enjeu : massive, coordonnée et sans concession.
La prévention et la lutte contre le harcèlement ne doivent pas concerner que la communauté éducative ou parfois la justice, mais doivent s’intégrer dans un véritable projet de société en nous mobilisant tous pour que, demain, nous n’ayons plus à ajouter d’autres prénoms à la liste des jeunes vies brisées.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mardi 12 novembre 2024)