Lorsqu’il s’agit de commenter la vie politique française, on peut sans hésiter faire appel à François Hollande qui trouve toujours la formule qui fait mouche pour résumer une situation. Anticipant la formation du gouvernement Barnier dont les noms de plusieurs ministres fuitaient déjà, l’ancien Président expliquait samedi dans nos colonnes « On attendait un changement et on découvre une restauration. » Et de fait, le retour aux affaires de la droite, qui en était éloignée depuis la défaite de Nicolas Sarkozy en 2012, s’apparente bien à une restauration, non pas de l’ancien monde qu’Emmanuel Macron voulait remplacer il y a sept ans, mais du monde d’avant-hier, celui d’une France sépia, libérale économiquement et ultraconservatrice sur le plan des mœurs.
En choisissant des figures de la droite dure comme le président du groupe LR au Sénat Bruno Retailleau, des soutiens de l’ancien Premier ministre François Fillon, souvent très proches de la Manif pour Tous et de son émanation politique Sens commun, opposés au mariage pour tous ou à l’inscription de l’IVG dans la constitution, Michel Barnier s’éloigne largement du collectif « équilibré, représentatif, pluriel » qu’il avait promis et du « gouvernement de rassemblement » que souhaitait Emmanuel Macron.
Si on devine que l’ancien négociateur du Brexit pour l’Union européenne a eu maille à partir avec les macronistes et les membres de sa famille politique pendant deux semaines de tractations marquées par les coups de pression, de menton et de bluff, force est de constater que son gouvernement est le plus à droite de tous les gouvernements d’Emmanuel Macron. Et s’éloigne de fait un peu plus encore du résultat des élections législatives qui ont vu l’alliance de gauche du Nouveau Front populaire arriver en tête et un large front républicain se constituer pour faire barrage à l’extrême droite. « Qu’est-ce que ce serait si la droite avait gagné les élections » a ironisé l’ancien ministre de la Santé et député apparenté PS Aurélien Rousseau.
Le coup de barre à droite est tel qu’il pourrait d’ailleurs achever de fracturer un camp présidentiel sonné par sa défaite aux européennes et aux législatives comme par les ambitions qui s’aiguisent entre Philippe, Attal ou Darmanin en vue de 2027. Le malaise est d’ailleurs palpable tant au MoDem, l’allié historique, que chez de plus en plus de marcheurs historiques. Que valent en effet les valeurs portées par Emmanuel Macron en 2017 – le dépassement, le progressisme, la bienveillance, la recherche du pragmatisme – si le gouvernement accueille en son sein des ministres désormais adeptes des pires théories xénophobes de l’extrême droite comme « le grand remplacement » ou « les Français de papier » ? La couleuvre pourrait être trop dure à avaler pour les macronistes de l’aile gauche qui vont devoir sérieusement s’interroger.
En attendant de voir quelle sera la durée de vie de ce gouvernement Barnier, sans poids lourds, placé sous la « surveillance » du Rassemblement national et la menace de motions de censure, la gauche – à qui Emmanuel Macron a refusé Matignon au mépris de la tradition républicaine et de la logique institutionnelle – a tout intérêt à préserver son unité, et surtout réfléchir urgemment à élargir son socle et renouveler ses idées si elle veut incarner l’alternance en 2027, ou avant.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du dimanche 22 septembre 2024)