Il y a dix ans, Enedis lançait en grande pompe le déploiement des compteurs communicants Linky. Aujourd’hui, alors que 35,6 millions de foyers en sont équipés, le bilan est positif mais mitigé. Entre promesses pas toutes tenues, débats récurrents, histoires parfois rocambolesques d’installation et polémiques persistantes, Linky n’a toujours pas totalement convaincu. Il suffit pour s’en convaincre de regarder le nombre important de commentaires que suscitent les articles et dossiers que nous avons déjà consacrés au compteur intelligent.
Certes, Linky a tenu certaines de ses promesses et au premier rang de celles-ci, les interventions à distance qui ont simplifié la vie des clients et des techniciens. La détection des pannes s’est améliorée. Mais quid du suivi en temps réel de notre consommation ? Cette fonctionnalité phare, promise dès le lancement pour permettre aux Français de devenir acteurs de la sobriété énergétique, reste insuffisante. Les données des compteurs sont transmises avec un décalage de 24 heures, bridant de fait notre capacité à agir sur nos habitudes.
Linky n’a ensuite pas totalement su lever les inquiétudes d’une partie de l’opinion sur son impact sanitaire. Malgré les études rassurantes de l’ANSES, la peur des ondes électromagnétiques persiste dans une partie de la population. Les tribunaux ont même reconnu l’électrosensibilité de certains plaignants, obligeant Enedis à prendre des mesures. La question de la protection des données personnelles, un enjeu passé au second plan mais capital, n’a pas non plus trouvé de réponse satisfaisante. Qui peut garantir que nos habitudes de consommation ne seront pas un jour monétisées ? La CNIL reste vigilante, mais le doute s’est installé.
Pour autant, à l’heure où la transition énergétique s’impose comme une nécessité, Linky pourrait jouer un rôle crucial. Sa capacité à gérer l’intermittence des énergies renouvelables et à optimiser la distribution est un atout indéniable, particulièrement en prévision de l’électrification du parc automobile qui va aller grandissante à partir de 2035, lorsque les véhicules thermiques neufs seront interdits de vente dans l’Union européenne.
Dix ans après le début de son installation, les consommateurs ne se sont pas approprié réellement l’outil. Combien d’entre nous consultent régulièrement leur compte Enedis pour suivre leur consommation ? L’annonce d’une tarification pour les récalcitrants à partir de 2025 – même si elle est logique et légitime – risque de raviver certaines tensions. Alors qu’il reste 2 millions de foyers à équiper, cette mesure pourrait apparaître non comme une pénalité mais bien comme une punition plutôt qu’une incitation pour les réfractaires.
Linky reste finalement l’incarnation ambivalente de notre rapport à la technologie et à la science, que l’on peut aussi observer sur les vaccins anti-Covid ou l’intelligence artificielle. D’un côté, une innovation potentiellement utile pour la collectivité. De l’autre, des craintes individuelles et une défiance persistantes, parfois exacerbées par des infox. Pour que Linky tienne enfin toutes ses promesses, il faudra plus que la seule révolution technique qu’il représente : un vrai travail de pédagogie et de transparence. Sans quoi, le compteur vert risque de symboliser une modernité imposée plus que choisie.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 9 septembre 2024)