En regardant attentivement la composition du gouvernement de Michel Barnier annoncée samedi, soixante-seize jours après les élections législatives, un poste ministériel interpelle. Si le Premier ministre disposera comme ses prédécesseurs d’une ministre déléguée chargée des Relations avec le Parlement – poste capital avec une Assemblée nationale divisée comme jamais pour un gouvernement sans majorité absolue – il aura également à ses côtés une autre ministre déléguée chargée… de la Coordination gouvernementale. Cette nouveauté en dit long sur la fragilité de ce gouvernement accouché au forceps entre les macronistes et les Républicains. Missionner Marie-Claire Carrère-Gée pour mettre de l’huile dans les rouages gouvernementaux et créer du liant entre les 39 ministres souligne combien cette équipe, née de formations sanctionnées aux législatives, présente des failles et des incohérences.
Difficile, en effet, de trouver plus éloignés que des marcheurs comme Agnès Pannier-Runacher ou des centristes pro-européens comme Jean-Noël Barrot de figures de la droite conservatrice et réactionnaire proche de la Manif pour tous comme Bruno Retailleau ou Laurence Garnier. Pendant des années les seconds ont mis en scène leur opposition frontale, outrancière parfois, à Emmanuel Macron, jurant ne pouvoir travailler avec des macronistes au nom du mandat confié par leurs électeurs ; et les voilà aujourd’hui dans une même équipe avec leurs adversaires d’hier. Entre des ministres macronistes pour l’essentiel sans poids politique, inconnus des Français et parfois nommés à des postes pour lesquels ils n’ont montré aucune compétence particulière – comme à l’Éducation nationale – et des élus LR qui ont accepté un maroquin – celui de la dernière chance parfois pour certains – pour pouvoir revenir aux affaires après douze ans d’absence, le dénominateur commun paraît bien mince. Marier la carpe et le lapin, surtout en politique, est toujours périlleux…
Mais au-delà de la forme, c’est bien le fond qui paraît le plus fragile dans cet attelage gouvernemental. Quelle politique sera réellement menée sur l’économie, la fiscalité, l’immigration, la sécurité, les droits des femmes et des LGBT, l’Europe, l’industrie, le numérique, etc. ? Le flou domine et personne ne sait réellement et précisément quel est le programme du gouvernement.
L’arrivée en force des très droitiers soutiens de l’ancien Premier ministre François Fillon a surpris à gauche bien sûr mais aussi dans le camp présidentiel, dont certains historiques ne cachent pas leur malaise voire leur effroi face aux positions et visées politiques des ministres LR. Au point que Gabriel Attal est monté au créneau hier, assurant à ses troupes que le groupe Ensemble pour la République (EPR, ex-Renaissance) restera « fidèle à ses valeurs et libre dans ses prises de position ». Et l’ex-Premier ministre de demander à Michel Barnier « d’affirmer clairement dans sa déclaration de politique générale qu’il n’y aura pas de retour en arrière sur la PMA, le droit à l’IVG, les droits LGBT ». N’aurait-il pas fallu s’en inquiéter avant de nouer une alliance ?
On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment, disait le cardinal de Retz. À force d’avoir trop entretenu les ambiguïtés, Michel Barnier, de plus en plus menacé par des motions de censure, va devoir en sortir, rassurer ses alliés, dire sa position face au RN, et expliquer enfin clairement aux Français – qui lui ont donné une bonne cote de popularité – ce qu’il veut faire… si l’Assemblée lui en laisse le temps.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 23 septembre 2024)