Accéder au contenu principal

Equilibre

pesticide

uEn faisant rapidement de nombreuses et coûteuses concessions aux agriculteurs en colère qui bloquaient les autoroutes et encerclaient Paris, le gouvernement pensait, d’évidence, s’éviter un long conflit social du type du mouvement des Gilets jaunes, qui avait traumatisé Emmanuel Macron en 2018. Les annonces de Gabriel Attal faites le 26 janvier sur une botte de foin dans une ferme haut-garonnaise de Montastruc-de-Salies, puis les autres mesures dévoilées le 1er février par le gouvernement ont fini par payer puisque les blocages ont été levés. Peu importait alors que les associations environnementales se soient offusquées des renoncements sur des mesures écologiques. Après tout, la colère paysanne était massivement soutenue par les Français qui approuvaient les revendications des agriculteurs, et les nombreuses manifestations de ces derniers partout en Europe ont contraint la rigide Commission européenne elle-même à lâcher du lest sur son Pacte vert et sa politique agricole commune, notamment sur les jachères.

Mais les agriculteurs avaient prévenu : les barrages n’étaient que suspendus et pouvaient donc revenir si les syndicats – qui ont repris la main de la contestation à une base qui a initié le mouvement – estimaient que la mise en œuvre des mesures tardait trop. Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour que cette menace soit mise à exécution. À dix jours du Salon de l’Agriculture, la FNSEA et les Jeunes agriculteurs font monter la pression sur le gouvernement pour accélérer le « tempo ». Faute de quoi ils promettent non seulement le retour des blocages mais aussi un accueil qu’on imagine musclé au « maître des horloges » Emmanuel Macron quand il inaugurera le Salon.

D’un autre côté, après avoir été sonnés par le choc des annonces gouvernementales mettant en pause plusieurs engagements environnementaux, les écologistes, boucs émissaires responsables des normes et décisions européennes qui pèsent trop sur les agriculteurs, ont commencé à redonner de la voix. 140 scientifiques ont signé une tribune rappelant que la nocivité des pesticides est un fait scientifique et que la science n’est pas une option. Ce lundi, huit ONG ont claqué la porte d’une réunion du comité d’orientation stratégique (COS) et de suivi du plan Écophyto, mis en pause par Gabriel Attal. Ces ONG ont fait de l’abandon possible de NODU, l’indicateur de référence et de suivi du plan de réduction des pesticides, une ligne rouge.

Au final, le gouvernement se retrouve pris entre deux feux, à quelques mois d’élections européennes qu’il aborde en mauvaise posture. D’un côté les agriculteurs – et notamment ceux des petites exploitations – qui s’impatientent à raison car ils attendent depuis des années des mesures qui correspondent à la réalité de leur travail plutôt qu’à des visions prospectives nées dans les bureaux de l’UE à Bruxelles. De l’autre, des associations environnementales qui rappellent la réalité indéniable du réchauffement climatique et ses conséquences pour la société comme pour l’agriculture, mais aussi les engagements internationaux de la France en matière d’environnement ou de biodiversité, parents pauvres du dernier remaniement.

Parce qu’il faut répondre à ces deux injonctions, non pas antinomiques mais interconnectées, Emmanuel Macron aurait dû revenir à son mantra de 2017 et faire du « en même temps ». Répondre aux besoins légitimes des agriculteurs sans renoncer en rien à l’ambition environnementale. Pour le Président, qui a laissé son Premier ministre gérer seul sa première crise, il est temps de retrouver cet équilibre.

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 14 février 2024)

Posts les plus consultés de ce blog

Sortir des postures

Le cortège d’une manifestation ou un rassemblement pour fêter la victoire d’un club sportif qui se terminent par des émeutes, des dégradations de mobilier urbain et de vitrines de magasins, parfois pillés, et des attaques violentes des forces de l’ordre par des hordes encagoulées dans un brouillard de gaz lacrymogènes… Les Français se sont malheureusement habitués à ces scènes-là depuis plusieurs décennies. Comme ils se sont aussi habitués aux polémiques politiciennes qui s’ensuivent, mêlant instrumentalisation démagogique, règlement de comptes politiques et critiques d’une justice supposément laxiste. Le dernier épisode en date, qui s’est produit samedi soir à Paris à l’occasion de la victoire du PSG face à l’Inter Milan en finale de la Ligue des champions, ne fait, hélas pas exception à la règle. Au bilan édifiant – deux morts, des dizaines de blessés, plus de 600 interpellations, des rues et magasins saccagés – s’ajoutent désormais les passes d’armes politiques. Entre l’opposition e...

La messe est dite ?

    L’entourage de François Bayrou a beau tenter d’expliquer que l’échec du conclave sur les retraites n’est imputable qu’aux seuls partenaires sociaux qui n’ont pas réussi à s’entendre en quatre mois pour « améliorer » la contestée réforme des retraites de 2023, la ficelle est un peu grosse. Car, bien évidemment, cet échec – hélas attendu – est aussi celui du Premier ministre. D’abord parce que c’est lui qui a imaginé et convoqué cette instance inédite de dialogue social et qu’il aurait naturellement revendiqué comme le succès de sa méthode un accord s’il y en avait eu un. Ensuite parce qu’il n’a pas été l’observateur neutre des discussions, qu’il promettait « sans totem ni tabou ». Il a au contraire, plusieurs fois, interféré : dès leur lancement en les corsetant par une lettre de cadrage imposant de ne pas créer de dépenses et d’équilibrer les comptes à l’horizon 2030 ; ensuite par son refus de voir abordé l’âge de départ à 64 ans, point centra...

Urgence démographique

  Présentées dans la torpeur de l’été, les statistiques démographiques de l’Insee devraient pourtant tous nous inquiéter et nous réveiller. Avec une baisse de 2,2 % du nombre quotidien de naissances moyen entre le premier semestre 2024 et celui de 2025, la France devrait atteindre une nouvelle fois son plus bas niveau depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, et cela pour la quatrième année consécutive, sans que l’on perçoive la possibilité d’un retournement prochain de situation. Dans le même temps, en cumul de janvier à juin, le nombre de décès quotidien moyen est plus élevé en 2025 qu’il ne l’était un an auparavant : + 2,5 %. Implacable logique d’un solde naturel qui montre d’un côté une France qui ne fait pas assez d’enfants, de l’autre une France dont la population vieillit à grande vitesse. Au 1er janvier 2025, 21,8 % des habitants avaient au moins 65 ans, contre 16,3 % en 2005 ; les personnes âgées d’au moins 75 ans représentent désormais 10,7 % de la population, contre 8...