La scène – aujourd’hui entré dans l’Histoire – se passe en octobre 2008, à Lakeville dans le Minesota. Le sénateur républicain John McCain est en campagne pour l’élection présidentielle contre le futur président des États-Unis, Barack Obama. En meeting, John McCain se livre à une séquence de questions-réponses. Une femme de l’assistance se saisit du micro et explique « Je ne peux pas faire confiance à Barack Obama […] c’est un arabe ». Agacé, le sénateur lui prend le micro des mains. « Non madame. C’est un père de famille respectable et un honnête citoyen. Il se trouve que j’ai des désaccords politiques avec lui. Et c’est de cela, et de rien d’autre, dont il est question ici. Nous voulons nous battre et je veux me battre, mais nous serons respectueux », réplique alors John McCain, qui sera plus tard hué par ses propres partisans.
Seize ans ont passé depuis cette scène, autant dire une éternité à l’échelle de la politique à l’heure des réseaux sociaux. Seize ans au cours desquels le parti républicain, ce Grand Old Party qui fut celui d’Abraham Lincoln, d’Ulysses Grant, de Theodore Roosevelt, de Dwight Eisenhower ou de Ronald Reagan, a radicalement changé sous l’influence toxique de Donald Trump au point d’être aujourd’hui totalement méconnaissable.
Arrivé par surprise en 2016 comme un chien dans un jeu de quilles, et profitant de l’usure des démocrates persuadés de gagner avec Hillay Clinton, le milliardaire vedette de téléréalité – bien aidé par des médias fascinés par ce candidat machine à buzz – s’est installé à la Maison Blanche sans rien connaître du subtil fonctionnement des institutions américaines et sans savoir comment traduire en actes son slogan « Make America Great Again ».
Adepte des « faits alternatifs » – des mensonges enrobés de culot –, climatosceptique et volontiers complotiste, l’éruptif Trump, qui a fait de Twitter un instrument de communication politique, a brusqué les alliés des États-Unis et mis en tension la vie politique américaine en la polarisant de façon quasiment irréversible, exacerbant notamment les tensions raciales. Tout cela sans pour autant obtenir les résultats mirifiques qu’il promettait. Incapable de définir une vraie stratégie sur la crise du Covid – au cours de laquelle il a minimisé l’épidémie et contredit ses conseillers scientifiques – Trump a parachevé son mandat en contestant l’élection de Joe Biden et en excitant ses partisans les plus radicaux qui ont pris d’assaut le Congrès pour tenter de renverser le résultat de l’élection.
Avec un tel palmarès et des échecs qui se sont enchaînés – midterms de 2018, présidentielle de 2020, midterms de 2022 – on aurait pu penser que les Républicains se tourneraient vers un candidat plus modéré que Donald Trump, qui fut le premier président de l’après-Guerre à ne jamais dépasser les 50 % de soutien de la population. Las ! C’était sans compter sur le noyautage du parti savamment orchestré par Trump qui, s’appuyant sur une base « MAGA » radicalisée le soutenant inconditionnellement, a écarté tous ses opposants internes. Personne ne semble, en effet, en mesure de s’opposer à son projet : se faire réélire pour laver l’affront de « l’élection volée de 2020 » et échapper à la kyrielle de procès qui le visent et peuvent d’ores et déjà le ruiner. À 77 ans, Donald Trump – qui n’a aucun programme précis – est persuadé de gagner et laisse déjà entrevoir ce que serait son mandat entre l’abandon de l’Ukraine à Vladimir Poutine, le désengagement de l’Otan, une chasse aux sorcières digne du maccarthysme ou la remise en cause des avancées sociétales et des droits, dont l’avortement, par une Cour suprême à sa main.
À neuf mois de l’élection, rien n’est évidemment joué mais les États-Unis sont au bord du gouffre. Resteront-ils cette grande démocratie, perfectible mais solide et inspirante, attachée à l’Etat de droit, ou sombreront-ils dans une sorte de théocratie totalitaire comme celle que Maraget Atwood avait dépeinte en 1985 dans « La servante écarlate » ?
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du samedi 17 février 2024)