Il n’existe plus beaucoup de terra incognita sur la Terre, mais l’Arctique et l’Antarctique, par leur éloignement, leur mystère et leur beauté appartiennent encore à cette catégorie. Jusqu’à quand ? L’Arctique est, en effet, une région du monde qui suscite aujourd’hui de plus en plus d’intérêt et de convoitise, et subit tensions et menaces. Cette zone, qui couvre environ 8 % de la surface terrestre, recèle de nombreuses ressources naturelles. Selon certaines estimations, l’Arctique détiendrait 13 % des réserves mondiales de pétrole et 30 % de celles de gaz naturel. Ces richesses attirent les regards des pays riverains, mais aussi de ceux qui veulent y accéder, comme la Chine ou l’Union européenne.
L’Arctique est aussi un enjeu stratégique et militaire, car elle représente un potentiel théâtre de conflits entre les grandes puissances dans un ordre mondial en recomposition. La Russie, qui possède la plus longue frontière arctique, y déploie toujours une forte présence militaire, avec des bases et des sous-marins comme à Mourmansk. Elle revendique également une large part du plateau continental arctique, qui s’étend jusqu’au pôle Nord et a aussi renforcé sa flotte de brise-glaces nucléaires… Cette ambition russe inquiète les autres membres du Conseil de l’Arctique, cette instance de coopération régionale qui réunit huit pays (Canada, Danemark, États-Unis, Finlande, Islande, Norvège, Russie et Suède), ainsi que des représentants des peuples autochtones. Créé en 1996, ce Conseil a pour objectif de promouvoir la paix, la stabilité et la coopération dans la région, notamment sur les questions environnementales, scientifiques, culturelles ou économiques, mais il est de plus en plus confronté aux rivalités géopolitiques et aux divergences d’intérêts entre ses membres. Avant même la guerre en Ukraine, la Russie et les États-Unis s’étaient déjà accusés mutuellement de menacer la sécurité et la stabilité de l’Arctique.
Ces tensions sont exacerbées par le réchauffement climatique. Selon le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié en août 2021, la température moyenne de l’Arctique a augmenté de 3,6 °C depuis 1850, soit plus du double de la moyenne mondiale ! Ce phénomène entraîne la fonte accélérée des glaces, qui réduit la superficie de la banquise et ouvre de nouvelles voies maritimes, comme le passage du Nord-Est ou celui du Nord-Ouest. Ces nouvelles routes, qui relient l’Europe à l’Asie en passant par l’Arctique, offrent des perspectives économiques importantes car elles réduisent le temps et le coût du transport maritime, mais elles posent aussi des défis juridiques, sécuritaires et environnementaux, car elles nécessitent une régulation internationale, une protection contre les menaces militaires ou terroristes, et une prévention des risques de pollution ou d’accidents.
Face à ces enjeux, il est urgent de renforcer la coopération et le dialogue entre les acteurs de l’Arctique, afin de préserver ce territoire unique et fragile, qui abrite une biodiversité exceptionnelle. De la même façon, au pôle Sud, il est urgent de sauvegarder l’Antarctique, qui abrite l’un des environnements les plus vierges de la planète, aujourd’hui lui aussi menacé par le réchauffement climatique et les activités humaines autres que scientifiques.
Hier avec Dumont d’Urville, Paul-Émile Victor ou Jean Malaurie, aujourd’hui avec Jean-Louis Etienne, la France est fondée à s’engager pleinement pour faire des pôles des sanctuaires de l’Humanité.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 19 février 2024)