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La colère du monde agricole qui s’est levée en Occitanie avant de s’étendre à tout le pays – en résonance avec l’exaspération des agriculteurs partout en Europe face aux incohérences des politiques agricoles et du Pacte vert de l’UE – a permis de mieux mesurer l’importance et les difficultés de l’agriculture pour penser notre souveraineté alimentaire… ou plutôt des agricultures. Car contrairement à d’autres mouvements de protestation par le passé, organisés nationalement par la FNSEA ou les JA le plus souvent, celui-ci a commencé hors cadre syndical, de la base, de petites exploitations, d’agriculteurs – souvent jeunes – qui veulent conjuguer la passion de leur métier, l’attachement à leur territoire, à leurs racines, et leur volonté de faire de bons produits en en vivant correctement. Ces paysans d’Occitanie, comme François Manent avec lequel nous avons passé 24 heures dans sa ferme de Saint-Pé-Delbosc, en Haute-Garonne, incarnent cette agriculture familiale bien différente des méga-exploitations.

Deux modèles d’agriculture, deux visions sans doute du métier qui méritent d’être préservées toutes deux. La première, XXL, fait de la France une importante exportatrice de céréales, de lait, de viandes, de vins… et s’insère avec aisance dans le monde globalisé, tirant souvent parti des accords de libre-échange. La seconde subit durement la concurrence déloyale étrangère qui ne respecte pas les normes européennes, elle se noie dans une kafkaïenne paperasserie française et européenne pour obtenir les aides qui lui sont dues, se heurte à des injonctions contradictoires et des règlements tatillons qui compliquent le quotidien et elle n’est pas assez armée face à une grande distribution et à des industriels de l’agro-alimentaire qui la rémunèrent bien trop peu.

Certains experts estiment que le modèle de la ferme familiale n’a pas d’avenir et qu’au nom de l’objectif de souveraineté alimentaire, il vaudrait mieux partir sur de grosses fermes plus rentables. C’est oublier un peu vite le rôle des petites exploitations qui fournissent des produits de qualité, souvent labellisés, participant de notre patrimoine gastronomique, préservent des savoir-faire ancestraux et contribuent à la vie sociale et économique de nombreux territoires ruraux. Ce n’est pas un hasard si le mouvement de colère a été soutenu si massivement par les Français, qui ont bien compris que derrière des revendications légitimes se trouvait aussi une part de l’identité française et de la vie du pays.

Le gouvernement, au prix d’importants renoncements sur des objectifs écologiques pourtant indispensables, est parvenu à stopper la colère des agriculteurs. Le pire serait toutefois de considérer que tout est réglé, car il reste au contraire tout à faire et notamment accompagner les petites exploitations sur le long terme, car elles sont en première ligne face aux conséquences du réchauffement climatique et au recul de la biodiversité et elles seront les actrices pour relever ces défis.

(Editorial publié dans La Dépêche du Dimanche du 4 février 2024)

Photo DDM Michel Viala


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