Faut-il oui ou non imposer une visite médicale obligatoire pour les titulaires du permis de conduire à partir d’un certain âge ? Cette épineuse question dans un pays comme la France où le permis est délivré à vie revient à nouveau dans le débat public à l’occasion d’une proposition de nouvelle réglementation européenne qui sera mise au vote au Parlement européen à la fin du mois. Il s’agirait alors d’imposer aux conducteurs de plus de 65 ans de passer une visite médicale tous les 15 ans. Cette mesure, qui vise à réduire les accidents de la route impliquant des personnes âgées, suscite une controverse devenue récurrente.
D’un côté, il est indéniable que le vieillissement entraîne une diminution des capacités physiques et cognitives, qui peut effectivement affecter la conduite. La vue, l’ouïe, les réflexes, l’attention, la mémoire se dégradent avec l’âge. Selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), les conducteurs de plus de 75 ans ont ainsi un risque d’accident mortel multiplié par 2,5 par rapport aux conducteurs de 35 à 54 ans. Ils sont aussi plus vulnérables aux blessures, en raison de leur fragilité. Face à ces constats, il peut donc sembler légitime de vouloir contrôler l’aptitude des conducteurs âgés à prendre le volant.
Mais une visite médicale est-elle le moyen le plus efficace et le plus équitable ? Car l’âge n’est pas le seul critère à prendre en compte : il existe une grande variabilité individuelle dans le vieillissement et certains conducteurs peuvent être en meilleure forme que d’autres, quel que soit leur âge. Ensuite, la conduite n’est pas qu’une affaire de compétences techniques, mais aussi de comportement. Les conducteurs âgés ont souvent une expérience de la route plus longue et plus riche que les jeunes conducteurs, et ils adaptent leur conduite en fonction de leurs capacités. Ils évitent par exemple de conduire la nuit ou sous la pluie et respectent davantage le code de la route et les limitations de vitesse. Et ils sont moins impliqués dans les accidents liés à l’alcool, à la drogue ou à la fatigue.
Ensuite, il faut prendre en considération les conséquences sociales et psychologiques qu’aurait la perte du permis pour les seniors qui ne passeraient pas le cap d’une telle visite médicale. Pour beaucoup d’entre eux, la voiture est le seul moyen de se déplacer, de faire leurs courses, de rendre visite à leurs proches, de participer à des activités culturelles ou associatives. Et cela est particulièrement vrai dans les zones rurales où l’offre de transport est insuffisante pour remplacer la voiture individuelle. Sans permis, les seniors risquent de se retrouver plus isolés et dépendants.
Entre l’exigence de sécurité routière et la légitimité de vouloir rester autonome et actif dans la vie sociale, il reste à explorer de nouvelles pistes. Plutôt que d’imposer une visite médicale systématique et arbitraire basée sur un critère d’âge, on pourrait imaginer proposer un accompagnement personnalisé aux conducteurs âgés avec des actions de prévention, de sensibilisation, de formation, de conseil qui pourraient les aider à évaluer leurs capacités, améliorer leur conduite, et, aussi, choisir le moment opportun pour arrêter de conduire. On pourrait également rechercher des solutions alternatives de mobilité, comme le covoiturage, le transport à la demande, et qui sait demain des véhicules autonomes.
Dans une société française ou une personne sur cinq a 65 ans ou plus et où les plus de 75 ans et plus représentent une personne sur dix – une proportion en hausse de 9 % en 2023 – il serait temps d’avoir ces réflexions pour éviter des discriminations et donner leur place aux seniors.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 26 février 2024)