La colère des agriculteurs qui a percuté ses débuts à Matignon, effritant ses sondages flatteurs, a conduit Gabriel Attal à délaisser un peu ses habituelles astuces de bon communicant pour peaufiner ce qui pourrait devenir sa méthode, l’écoute puis l’action rapide. À un poste que l’on dit précaire – puisqu’Emmanuel Macron pourrait être tenté de revoir totalement l’architecture gouvernementale après les Jeux olympiques pour la fin de son quinquennat – le plus jeune Premier ministre de la Ve République a tout intérêt à montrer qu’il est parvenu à gérer sa première crise politique d’ampleur, qui plus est dans un domaine qui lui était totalement étranger et sous la surveillance constante et peut-être pesante du chef de l’État. Mais pour calmer la colère paysanne, qui rappelle à l’exécutif le traumatisant épisode des Gilets jaunes, le Premier ministre a-t-il trop cédé et trop vite, sur la forme comme sur le fond ?
Sur la forme, la gestion Attal de cette crise agricole historique montre que l’État, que l’on dépeint souvent comme une complexe machine ankylosée, est capable de se mobiliser très rapidement, de réviser des dizaines de décrets, de battre le rappel de tous les préfets pour les missionner au chevet de Français en souffrance, et même de porter fort la voix de la France dans les instances européennes à Bruxelles. Bref, d’accélérer une chaîne de décisions souvent entravée par les procédures administratives.
C’est plutôt une bonne chose. Dès lors se pose la question de savoir pourquoi ce qui est possible pour l’agriculture ne pourrait pas l’être pour d’autres secteurs. L’éducation, le logement, la santé, les transports, la transition écologique, ou encore le numérique – qui vient de perdre son ministère de plein exercice pour un secrétariat d’État à l’heure de l’intelligence artificielle qui soulève des enjeux colossaux – ne mériteraient-ils pas, eux aussi, de bénéficier d’un tel activisme gouvernemental ? Le « mois de la simplification » annoncé pour l’agriculture ne pourrait-il pas s’appliquer à d’autres dossiers ?
Sur le fond ensuite, le plus important, le gouvernement a cédé rapidement aux agriculteurs des aides évaluées à quelque 400 millions d’euros par Bercy pour circonscrire la colère et obtenir la levée des barrages. Une somme importante à l’heure où Bruno Le Maire cherche à en finir – difficilement – avec le « quoi qu’il en coûte » et à faire 10 milliards d’euros d’économies pour pallier une croissance revue à la baisse. Mais une somme légitime compte tenu des terribles difficultés écrasant de nombreux agriculteurs qui méritent la solidarité nationale. Là aussi, nombre de Français pourraient se demander pourquoi ce qui est possible pour l’agriculture ne serait pas possible pour les autres secteurs précédemment cités ?
D’évidence, Gabriel Attal, un mois et demi après sa nomination, se frotte à l’essence même de l’exercice du pouvoir : faire des choix, savoir répondre aux urgences en évitant les surenchères. Et avoir conscience que toute feuille de route peut être percutée, que rien ne se passe jamais comme prévu – de fait, la crise agricole n’est clairement pas terminée que d’autres ont déjà surgi. Peut-on se contenter de répondre une à une à des crises qui s’enchaînent, ne faut-il pas une vision d’ensemble, une direction pour le pays ? Là, ce n’est pas à Gabriel Attal de répondre, mais bien à Emmanuel Macron de dire où il veut aller dans les trois ans qui viennent.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 22 février 2024)