La vitesse étant, avec l’alcool au volant, parmi les premières causes des accidents mortels en France, pour réduire la mortalité, il suffit donc d’abaisser la vitesse. CQFD. C’est sans doute en faisant ce raisonnement aussi basique qu’implacable que l’ancien Premier ministre Edouard Philippe avait décidé le 9 janvier 2018 de faire passer la limitation de vitesse de 90 km/h à 80 km/h sur ces routes. Sans concertation avec les élus locaux ou avec les associations d’automobilistes, sans négociations avec les collectivités locales ou les services de l’Etat pour mesurer ce qu’impliquait de changer des milliers de panneaux routiers sur près de 400 000 km, sans se donner du temps pour faire de la pédagogie auprès des Français, et, vraisemblablement, sans la bénédiction d’Emmanuel Macron qui s’est retrouvé contraint de soutenir la controversée mesure de son Premier ministre.
Dès lors, le passage aux 80 km/h – qui pouvait se justifier pour faire face à une hausse des accidents de la route constatée pour la première fois depuis un demi-siècle – est sorti du seul cadre de la sécurité routière pour devenir une affaire très politique et un boulet pour le gouvernement. Parfaite illustration de ces décisions prises d’en haut par Paris et imposées en bas sur tout le territoire sans la moindre concertation, l’obligation de passer aux 80 km/h a non seulement froissé les élus locaux déjà excédés d’être snobés par l’exécutif depuis mai 2017, mais elle a aussi mis en évidence les écarts considérables entre territoires en termes d’aménagement et de mobilité.
Vivre à 80 km/h en Ile-de-France quand l’offre de transport est pléthorique est une chose ; la situation est tout autre lorsque l’on habite et travaille dans un département rural, isolé, aux routes parfois vieillissantes, aux transports en commun rares et où la voiture reste bel et bien le seul moyen de locomotion. Le mouvement des Gilets jaunes fin 2018 rappelait d’ailleurs cette réalité-là. Face à la bataille de chiffres entre gouvernement associations de défense d’automobilistes pour savoir si la promesse de sauver 350 à 400 vies par an était effective et face à la grogne des élus locaux exprimée notamment lors du Grand débat, Emmanuel Macron a concédé que des aménagements étaient nécessaires, c’est-à-dire qu’un retour aux 90 km/h devenait possible ; un choix fait aujourd’hui par un tiers des départements.
Plus de trois ans après, tirer le bilan de la mesure est quasi-impossible puisque la survenue de l’épidémie de Covid et ses confinements a bouleversé tous les chiffres de circulation. Impossible aussi de parler de fiasco puisque la mesure a peut-être effectivement sauvé des vies.
Si le bilan est infaisable, en revanche, une leçon peut en être tirée : la méthode utilisée pour imposer les 80 km/h est tout ce que ne veulent plus les Français…
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 20 septembre 2021)