C’est l’un des plus importants projets industriels qui doit s’achever d’ici la fin de l’année et, cependant, il y a peu de chance qu’il soit célébré comme tel. La pose de 35 millions de compteurs communicants Linky en France constituait pourtant un immense et enthousiasmant défi technologique et logistique au nom de la transition écologique et de la maîtrise de l’énergie. Las ! Le déploiement a très tôt été marqué par les polémiques à répétition et la défiance de nombreux Français. Depuis six ans, pas une semaine ne passe sans que ne surgissent une polémique, un débat, une empoignade ; ici un dysfonctionnement concernant une hausse inexpliquée de la facture d’électricité, là des mairies ou des habitants réunis en collectif qui s’opposent à l’installation du compteur jaune, parfois jusque devant la justice – cette dernière leur ayant quelquefois donné raison. Et cette semaine, la controverse sur qui paiera in fine l’installation des compteurs qui ont évidemment un coût.
Ces six dernières années, deux sujets sont revenus en boucle : l’impact sur la santé humaine et la protection des données personnelles collectées. Ni les explications pourtant nombreuses d’Enedis, ni les études scientifiques – comme celles de l’Agence nationale des fréquences (ANFR) montrant l’innocuité des compteurs Linky sur la santé humaine et l’absence de lien de causalité entre l’installation d’un compteur et des pathologies attribuées à une hypersensibilité aux champs électromagnétiques – ne sont totalement parvenues à contenir une défiance populaire, qui fait écho par bien des aspects à celle rencontrée par le vaccin anti-Covid. Six ans après le lancement du programme, il y a eu, d’évidence, un manque de pédagogie, peut-être un manque de transparence, en tout cas une insuffisance de communication pour répondre à des craintes et des questions légitimes, comme celle de savoir si les promesses de nouveaux services au consommateur ou une économie sur sa facture sont bien tenues…
Ces polémiques ont presque fait oublier la raison pour laquelle la France et toute l’Europe ont décidé de déployer des compteurs communicants : mieux gérer les réseaux électriques, les sécuriser pour éviter de subir des black-out comme ceux survenus aux Etats-Unis, leur permettre de répondre à une demande qui évolue sans cesse, et lutter contre le réchauffement climatique en consommant moins. Les données de consommation en temps réel sont la clé de voûte du système mais celui-ci a besoin de la confiance des consommateurs. C’est cette « culture de l’énergie » qu’il reste aujourd’hui à bâtir.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du samedi 5 juin 2021)