"Le cinéma est un mélange parfait de vérité et de spectacle" disait François Truffaut. Si le réalisateur des 400 coups parlait des œuvres sur grand écran, son analyse peut aujourd’hui s’appliquer au milieu du cinéma français lui-même. Car depuis plusieurs semaines maintenant, le 7e art hexagonal est traversé par des vérités peu reluisantes et offre un singulier spectacle qui devrait logiquement le conduire à adopter de nouvelles pratiques. Ce serait là le seul moyen pour éviter que la 45e cérémonie des César qui se tient ce soir ne soit la dernière, engloutie par trois dossiers majeurs.
Le premier est celui des agressions sexuelles et des viols subis par des actrices. Si la libération de la parole des femmes a été déclenchée aux Etats-Unis par le mouvement #MeToo lors de l’affaire Weinstein, en France, cette parole-là aussi s’est libérée et doit être, mieux qu’écoutée, entendue. Après parfois de nombreuses années de silence, c’est avec beaucoup de pudeur et énormément de courage que des actrices nous racontent ce que leur ont fait subir des réalisateurs qui se croyaient tout permis et surtout protégés par un microcosme qui a trop souvent fermé les yeux. Dès lors Roman Polanski – visé par une nouvelle accusation de viol et toujours poursuivi par la justice américaine – apparaît aux yeux des défenseurs des victimes comme le symbole de ces comportements. Pas question de dissocier l’homme de l’œuvre et de le récompenser de César pour ces féministes qui avaient appelé à boycotter son "J’accuse" et s’apprêtaient à perturber la cérémonie s’il s’y rendait. Pour autant, si l’artiste et l’œuvre sont évidemment liés, ils ne sauraient se confondre. Si le comportement d’un homme est pénalement répréhensible, son œuvre devrait-elle subir l’opprobre et la censure ? Et dans ce cas qui se chargerait de lister les "bonnes" et les "mauvaises" œuvres, au cinéma comme dans la littérature ? "On ne peut pas forcer les gens à aller au cinéma ! Ou alors, on change de régime…" expliquait en 2013 Ettore Scola, qu’on peut extrapoler en disant qu’en démocratie on ne peut pas interdire au public de se faire sa propre opinion sur des œuvres, dès lors que celles-ci n’enfreignent pas la loi. D’ailleurs, nombre d’actrices victimes, comme Adèle Haenel, ne réclament aucunement un boycott des films de leurs agresseurs, mais plutôt des projections accompagnées de débats. Moins d’obscurité, plus de transparence.
Le second dossier qui mine cette année les César concerne la gouvernance de l’Académie. Dénonçant des "dysfonctionnements", une "opacité des comptes" et des statuts marqués par la cooptation, 400 personnalités du cinéma qui réclamaient une "réforme en profondeur" de l’institution, ont provoqué la démission collective du conseil d’administration présidé par Alain Terzian. Là aussi moins d’obscurité, plus de transparence.
Enfin, dernier dossier qui secoue le cinéma français – et qui a déjà été plusieurs fois abordé aux Oscars : celui de la représentation de la diversité. Une trentaine de réalisateurs et d’acteurs réclament une meilleure représentation dans le cinéma français des artistes issus des Dom-Tom et des immigrations africaine et asiatique, trop souvent cantonnés aux rôles secondaires ou stéréotypés. Là aussi il y a besoin de moins d’obscurité dans les castings et de plus de transparence.
Ces trois dossiers sont ainsi autant de défis à relever afin que le cinéma reflète davantage la société pour mieux la transcender.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du vendredi 28 février 2020)