Alexandra de Taddeo, Piotr Pavleski et à droite l'avocat Juan Branco./ Photo DR |
La renonciation à la candidature à la mairie de Paris de Benjamin Griveaux, après la publication de vidéos intimes à caractère sexuel, n’a pas suffi à éteindre l’affaire. Car celle-ci, cette "bombe Griveaux" comme nous le titrions à notre Une samedi, est une bombe à fragmentation qui entraîne de multiples conséquences dépassant très largement la seule personne de l’ancien ministre. Au-delà des débats sans fin sur l’imprudence ou l’impudence de Benjamin Griveaux d’avoir partagé, comme le premier adolescent venu, des vidéos très personnelles sans imaginer ce qu’elles pourraient devenir un jour, au-delà des suites judiciaires, l’affaire touche deux points majeurs.
Le premier, c’est le débat qu’elle a immédiatement suscité – réactivé plus précisément – sur l’anonymat des réseaux sociaux. Un débat plutôt étonnant puisqu’en l’espèce, les vidéos et les échanges de Benjamin Griveaux ont été publiés sur un site web et revendiqués par l’activiste russe Piotr Pavlenski. Les réseaux sociaux – qui n’ont jamais hébergé les contenus en question – ne sont intervenus que dans un second temps lorsque le lien du site a été mis en avant par deux personnes, elles aussi parfaitement identifiées – le Dr Laurent Alexandre et le député ex-LREM Joachim Son-Forget – qui ont contribué à l’emballement. En s’appuyant sur l’affaire Griveaux pour réclamer à hauts cris une législation pour lever l’anonymat sur les réseaux sociaux, certains parlementaires et commentateurs se trompent d’évidence de combat. D’une part, parce que la législation actuelle impose déjà aux plateformes numériques de lever les pseudonymes en cas de publications délictueuses si la justice le leur demande et d’autre part parce que l’anonymat a aussi ses vertus. Il permet aux lanceurs d’alerte de s’exprimer sans crainte de représailles, aux femmes violentées de témoigner sans peur, etc. Empêcher la publication sous pseudonyme relève davantage de régimes dictatoriaux que de démocraties matures.
Le second dossier que soulève l’affaire Griveaux a été souligné par son principal adversaire, Cédric Villani, lorsque celui-ci a réagi le premier en estimant que "l’attaque indigne qu’il subit est une menace grave pour notre démocratie." De fait, au-delà du détestable procédé qui consiste à violer l’intimité d’un candidat pour le déstabiliser, c’est bien une attaque contre la démocratie dont il est question puisqu’il s’agit d’en miner un moment clé, le scrutin, via des publications numériques volées ou mensongères. Ces perturbations n’ont cessé de se multiplier ces dernières années, de l’élection de Donald Trump en passant par le référendum sur le Brexit, du piratage des e-mails d’Hillary Clinton à ceux des équipes d’Emmanuel Macron et jusqu’aux élections européennes qui ont vu de nombreuses tentatives de piratage d’organismes européens, notamment en provenance de hackers liés à la Russie.
Dès lors, l’affaire Griveaux constitue une alerte pour les responsables publics et doit les inviter à relever trois défis : la nécessité de connaître et de maîtriser les outils numériques, ce qui passe par davantage de formation, d’éducation ; la nécessité de donner les moyens à la justice d’intervenir plus rapidement ; et la nécessité, enfin, de muscler la lutte contre les ingérences, d’où qu’elles viennent.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mardi 18 février 2020)