Et si le remboursement à 100 % des prothèses dentaires, des lunettes et des appareils auditifs constituait le premier signe très concret d'un marqueur de gauche pour Emmanuel Macron, dont la politique penche singulièrement à droite depuis son installation à l'Élysée selon la perception de l'opinion dans les derniers sondages ? Et si ces mesures, pour lesquelles le président de la République effectue aujourd'hui un déplacement à Montpellier devant le congrès de la Mutualité française, constituaient le signal tant attendu par le pôle « social » de la majorité présidentielle et plus particulièrement de certains députés de La République en Marche ? Et si cette promesse de campagne, qui est en voie de concrétisation dans les trois prochaines années, permettait de donner aux Français, séduits par le candidat du « en même temps » mais déçus par la première année du quinquennat, le sentiment que, oui! le Président n'est pas que celui des riches comme le disent ses adversaires ?
En tout cas, les mesures du « zéro reste à charge », dont les modalités definancement restent à préciser, constituent, d'évidence, un enjeu politique majeur pour Emmanuel Macron. Alors qu'un débat s'est ouvert sur la refonte des aides sociales avec en prime une polémique et un couac de communication gouvernementale, ces nouvelles mesures vont permettre au chef de l'Etat de calmer le jeu, et de répondre à ses opposants. Il a ainsi l'occasion de contester l'analyse de Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, qui jugeait il y a quelques jours que la politique française actuelle « penche vers une vision anglo-saxonne, et pas du tout nordique, du modèle social », allant, selon lui, vers un modèle du « chacun pour soi». Le Président va également pouvoir rassurer les trois économistes de son premier cercle – Philippe Aghion, Philippe Martin et Jean Pisani-Ferry qui ont contribué à la rédaction de son programme économique – et qui, dans une note adressée à l'Élysée début juin, ont déploré un « déséquilibre » de la politique menée et appelé le chef de l'État à prendre des mesures contre les inégalités sociales pour retrouver l'esprit du « libérer et protéger », leitmotiv de la campagne présidentielle.
À côté de ces considérations politiques, le « zéro reste à charge », qui doit s'inscrire dans « une nouvelle manière de prévenir les grands risques sociaux comme le chômage, la maladie et la retraite » selon l'Élysée, constitue surtout une réponse à un vrai problème de santé publique. Le coût final d'une prothèse dentaire, d'une paire de lunettes ou d'un appareil auditif est parfois tel que des Français modestes renoncent à y recourir. En décembre dernier, une étude Odoxa montrait que 60 % des Français avaient, au cours des cinq dernières années, déjà reporté ou renoncé aux soins dentaires, optiques, auditifs, pour des raisons financières – 39 % y renonçant définitivement… Dès lors pas étonnant que la réforme portée par l'exécutif soit massivement soutenue par les Français en demande de justice sociale.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du 13 juin 2018)