Régulièrement, depuis des années, le débat sur la dépénalisation ou la légalisation du cannabis revient en France. Partisans ou opposants d'une telle mesure, médecins, politiques, magistrats, responsables associatifs s'affrontent par médias interposés, à coups de tribunes – dont certaines ont fait date comme «l'appel du 18 joint» en 1976 –, à coups d'arguments de santé publique tantôt justes et de bonne foi, tantôt spécieux et caricaturaux. La France s'emballe l'espace de quelques jours avant de refermer le débat jusqu'à la prochaine fois, retombant dans une hypocrisie qui, d'évidence, n'a que trop duré.
Car le monde change et la réalité rattrape de plus en plus la France. Des millions de Français, jeunes et moins jeunes, ont déjà fumé du cannabis. Des millions de Français en consomment régulièrement, voire quotidiennement, au vu et au su de tous. Des millions de Français se mettent donc en dehors de la loi du 31 décembre 1970 qui punit les consommateurs de «stupéfiants». Une loi qui devient de plus en plus inadaptée sinon inapplicable, tant par la police qui se retrouve face à une charge de travail considérable, que la justice dont les tribunaux correctionnels sont engorgés. La législation française, l'une des plus répressives d'Europe, est devenue une prohibition qui s'avère vaine, puisqu'elle n'empêche en rien la consommation, ni, en corollaire, le développement de l'économie souterraine du trafic.
Fort de ce constat, le législateur aurait logiquement tout intérêt à revoir sa copie. Mais en dépit de quelques tentatives, rares sont pourtant ceux qui se risquent à aller dans ce sens. L'ex-ministre de l'Intérieur de Lionel Jospin, Daniel Vaillant, qu'on ne saurait soupçonner de libertarisme et de laxisme, plaide pour une légalisation encadrée depuis une dizaine d'années. L'ancien ministre Jean-Michel Baylet s'était lui aussi prononcé pour une légalisation lors de la primaire de la gauche en 2011. Des propositions sérieuses et argumentées, qui n'ont pas fait bouger les lignes face aux tenants d'une ligne dure, coincés entre des impératifs moraux ou religieux et des considérations électoralistes…
Pourtant les choses bougent. Outre-Atlantique, le cannabis thérapeutique est autorisé dans plusieurs États américains, tout comme l'usage récréatif y est réglementé. Les premiers constats effectués par les chercheurs montrent qu'une législation encadrée n'entraîne pas d'augmentation des usages problématiques, ni de hausse de la consommation chez les plus jeunes. Et l'accès au cannabis récréatif réduit la consommation de médicaments antidouleur à base d'opiacés. Et que dire de l'économie vertueuse qui s'y est développée ? Autant de faits qui montrent que la légalisation encadrée est bénéfique économiquement et sanitairement. La France peut-elle rester dans le déni et ignorer ce qui marche à l'étranger et qui fait école ? Il est plus que temps de sortir de l'hypocrisie.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du 22 juin 2018)