La rumeur est la fumée du bruit disait Victor Hugo. Et cette fumée-là, asphyxiante et nauséabonde pour le débat public, a pris de l'ampleur depuis l'époque de l'auteur de la Légende des siècles. Amplifiées par les réseaux sociaux, ces rumeurs sont colportées de tweet en tweet, les thèses complotistes (sur la réalité de la Shoah, les attentats du 11-Septembre, ceux contre Charlie Hebdo ou sur la réalité du récent sauvetage d'un enfant par Mamoudou Gassama) sont relayées par des commentateurs patentés jusque sur les plateaux télé. De telles manipulations qui essaiment sur le web proviennent parfois de «fermes de trolls» installées dans les pays de l'Est et payées par des États désireux d'en déstabiliser d'autres. On l'a vu lors de la dernière campagne électorale américaine, ou lors du référendum sur le Brexit. Mais si auparavant le phénomène restait contenu à certaines sphères, il a bénéficié d'une incroyable exposition en même temps qu'une sorte d'officialisation avec l'élection de Donald Trump. Le président Twitter, qui accuse sans cesse les médias comme CNN ou le Washington post de colporter des fake news, a carrément inventé des «faits alternatifs, comme celui assurant qu'il y avait plus de monde à son investiture qu'à celle d'Obama en dépit de photos montrant exactement et incontestablement le contraire.
Et la France n'est pas épargnée. Emmanuel Macron, qui a subi lui aussi durant la présidentielle, son lot de fake news, a-t-il pour autant raison de vouloir légiférer pour combattre les fausses nouvelles en période électorale, qui pouvaient déjà tomber sous le coup de la loi sur la presse de 1881 ? Voire. En la matière, l'enfer est souvent pavé de bonnes intentions. La définition de la fausse nouvelle telle que rédigée à l'Assemblée nationale est tellement large, malléable et imprécise qu'elle en vient à inquiéter à raison les défenseurs des libertés publiques qui craignent de voir l'Etat en capacité de livrer une vérité officielle et donc pratiquer une forme de censure. Les promoteurs du texte s'en défendent et on veut bien leur donner crédit de leur bonne foi mais les lois sont faites pour durer et qui sait ce que pourrait en faire un jour des gouvernements moins républicains ?
Il existe pourtant une autre voix pour lutter contre les fake news : promouvoir les nouvelles qui ont été collectées, vérifiées, contextualisées, remises en perspectives par des professionnels respectant un code de déontologie. C'est-à-dire redonner leur juste place dans le débat public aux journalistes et aux journaux, dont certains appellent sur eux la haine ou voudraient les écarter au profit d'une seule communication verrouillée ou au nom d'un secret des affaires. Ces professionnels ne sont bien sûr par exempts de défauts et doivent pouvoir être critiqués, mais avec leur sensibilité propre, ils permettent que s'expriment la pluralité des opinions et le débat sur des faits avérés. Deux aspects essentiels dans une démocratie pour lutter contre la fumée du bruit…
(Commentaire publié dans La Dépêche du Midi du 7 juin 2018)