« En vérité, le chemin importe peu, la volonté d'arriver suffit à tout », disait Albert Camus dans Le Mythe de Sisyphe. Emmanuel Macron aurait pu faire sienne la phrase du grand écrivain tant c'est par sa seule volonté que va être mis en place le service national universel. Mais le président de la République a dû singulièrement réduire la voilure par rapport à ses ambitions initiales et pris le risque d'être incompris de la jeunesse.
Durant la campagne, il assurait «Nous créerons un service militaire obligatoire et universel d'un mois. Il s'adressera aux jeunes femmes et hommes aptes de toute une classe d'âge et devra intervenir dans les 3 ans suivant leur 18e anniversaire.» L'armée française, qui consacre un effort important à la lutte contre le terrorisme sur le territoire national, s'était montrée très tôt réticente à devoir gérer le retour d'une conscription qu'elle avait abandonnée en 1997 pour devenir une armée de métier. En février dernier, le président de la République avait revu sa copie, abandonnant le caractère «militaire» pour ne garder que l'appellation «service national universel» mais pour une durée de trois à six mois obligatoires. Bronca cette fois dans les couloirs de Bercy face aux coûts financiers et logistiques faramineux qu'imposerait un tel projet. Face à ce casse-tête, l'Élysée s'est donc rangée à l'avis du groupe de travail sur le sujet qu'elle avait constitué pour retenir un mois de service national universel obligatoire pour les filles et garçons âgés de 16 ans.
La séquence illustre en tout cas deux faits saillants qui marquent notre époque. D'un côté, le pays est travaillé par la nostalgie du service militaire, dont les origines remontent à la Révolution française avec les armées de l'an II, puis à la loi Jourdan-Delbrel qui institua la «conscription universelle et obligatoire» le 5 septembre 1798. Le service national véhicule encore dans l'opinion l'idée exclusive d'un creuset où les jeunes de toutes origines fraternisaient entre eux au service de la Nation. Qu'importe que derrière cette image d'Épinal nourrie d'anecdotes et de légitimes souvenirs, il y ait eu, aussi, une kyrielle de pistonnés ou de petits malins qui évitaient de faire leur service ou l'effectuaient sous les lambris ministériels. Qu'importe que beaucoup de jeunes espéraient être réformés à l'issue des «trois jours». En voulant réinstaller un tel «rendez-vous avec la Nation», Emmanuel Macron, qui n'a pas fait son service militaire, sait combien ce mythe a nourri le roman national dans lequel le président veut inscrire sa marque.
Le retour d'un service universel illustre aussi toute la difficulté de la France à parler à sa jeunesse et à la comprendre. Était-il vraiment nécessaire d'instaurer un mois au milieu de leur scolarité pour inciter les jeunes à s'engager pour leur pays ? Emmanuel Macron s'était récemment adressé à eux en reprenant la célèbre phrase de Kennedy : «Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays.» Pourtant beaucoup d'entre eux sont déjà impliqués dans le monde associatif qui vivifie, lui aussi, le lien entre le peuple et la Nation. Les jeunes pourraient alors assurer au Président qu'ils sont déjà engagés et lui rétorquer, eux aussi, «Engagez-vous» pour la jeunesse… autrement qu'en lui imposant un service national.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du 28 juin 2018)