Accéder au contenu principal

Le grand blues

 

gendarme

 

On se rappelle qu’avec l’épidémie de Covid-19, on avait assisté à une grande démission – le quiet quitting venu de États-Unis. Confinés et parfois mis au chômage technique, nombre de citoyens, partout dans le monde et y compris en France, se sont interrogés sur le sens de leur travail et de leur vie, certains décidant alors de tout plaquer pour faire autre chose. Ces démissions-là, faites par démotivation ou par usure, existent pourtant depuis longtemps dans le monde du travail et touchent tous les domaines et toutes les couches de la société. Les forces de l’ordre n’y échappent évidemment pas. Mais le phénomène a pris une ampleur inédite.

En 2022, la gendarmerie nationale enregistrait une augmentation notable des départs hors retraite : un chiffre record de 15 000 départs, incluant départs définitifs et changements de corps. En 2023, la Cour des comptes soulignait une hausse de 34 % en quatre ans.

Les départs anticipés touchent surtout les plus jeunes, traduisant une évolution des attentes générationnelles que l’on trouve dans d’autres métiers en termes d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, reconnaissance, etc. Les gendarmes – sous couvert d’anonymat – et leurs épouses – dont certaines s’étaient retrouvées dans des associations – dénoncent tour à tour des conditions de travail difficiles entre surcharge, horaires à rallonge, pression constante et logements dégradés. Quand s’y ajoutent un manque de reconnaissance et de perspectives d’évolution et des réformes successives, le sentiment de perte de sens se renforce et conduit certains à se résoudre à quitter un métier qu’ils ont aimé faire au service des Français.

« Il n’y a pas d’hémorragie ! » clamait pourtant en février dernier la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) en décortiquant le nombre de 15 000 départs qui avait fait couler beaucoup d’encre. La DGNN assure que 2024 a vu une stabilisation de la courbe des départs ; explique que des mesures d’accompagnement en faveur de la fidélisation ont été prises ; qu’un effort en faveur de l’immobilier a été lancé et que la gendarmerie, dont les écoles « sont pleines », « reçoit des centaines de demandes de gendarmes souhaitant dépasser la limite d’âge ou se réengager. »

Il n’en reste pas moins que si tous les gendarmes ne quittent heureusement pas l’uniforme, beaucoup de ceux qui restent ont le blues face à des missions de plus en plus nombreuses et difficiles à mener dans une société plus violente qu’il y a quelques années et moins respectueuse de l’autorité qu’ils représentent.

Ainsi au-delà des seules statistiques des départs, ce sujet-là mériterait l’engagement de toute la société et en premier lieu celui du ministre concerné. Il ne suffit pas de dire à la moindre occasion dans les matinales son soutien aux forces de l’ordre et multiplier ensuite des opérations éprouvantes pour elles ; opérations parfois hypersécuritaires aux relents trumpistes qui relèvent bien trop souvent du coup de com’ au service d’ambitions politiques personnelles et du coup de menton dont les Français – qui aiment leurs gendarmes – ne sont pas dupes et finissent par se lasser.

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du dimanche 22 juin 2025)

 

Posts les plus consultés de ce blog

Guerres et paix

La guerre menace encore une fois le Pays du Cèdre, tant de fois meurtri par des crises à répétition. Les frappes israéliennes contre le sud du Liban et les positions du Hezbollah ravivent, en effet, le spectre d’un nouveau conflit dans cette Terre millénaire de brassage culturel et religieux. Après quinze années de violence qui ont profondément marqué le pays et ses habitants (1975-1990), la paix est toujours restée fragile, constamment menacée par les ingérences étrangères, les divisions communautaires et une classe politique corrompue. La crise économique sans précédent qui frappe le pays depuis 2019, puis l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth en 2020, symbolisant l’effondrement d’un État rongé par des décennies de mauvaise gouvernance, ont rajouté au malheur de ce petit pays de moins de 6 millions d’habitants, jadis considéré comme la Suisse du Moyen-Orient. Victime d’une spectaculaire opération d’explosion de ses bipeurs et talkies-walkies attribuée à Israël, le Hezbollah – ...

Vaccin et vigilance

La résurgence de la coqueluche en France comme ailleurs en Europe a de quoi inquiéter. En France depuis le début de l’année, un total provisoire de 28 décès a été rapporté à Santé Publique France, dont 20 enfants (18 de moins de 1 an) et 8 adultes (de 51 à 86 ans mais dont la coqueluche n’était pas indiquée comme première cause de décès). La circulation de la bactérie Bordetella pertussis, principale cause de la coqueluche, est si importante que les autorités s’attendent à de nouveaux cas à venir dans les prochains mois. Car la coqueluche est extrêmement contagieuse, une personne contaminée pouvant transmettre la maladie à 15 autres en moyenne… Et si elle a longtemps été considérée comme une maladie de la petite enfance, elle peut être sévère à tous les âges, voire mortelle pour les nourrissons, non ou partiellement vaccinés, et les personnes à risque telles que les femmes enceintes et les personnes âgées. Ce n’est pas la première fois que l’on est confronté à une résurgence de la coqu...

En marche

    Depuis douze siècles des pèlerins convergent vers Saint-Jacques-de-Compostelle qui, avec Jérusalem et Rome, est l’un des lieux des trois grands pèlerinages de la Chrétienté. Mais ceux qui marchent aujourd’hui sur les chemins de Compostelle ne le font pas seulement au nom de leur foi et n’arrivent pas forcément à la destination finale en Espagne. Les pèlerins du XXI e  siècle ne font souvent qu’une partie seulement de l’itinéraire millénaire avec des motivations bien plus diverses. Passionnés de randonnée pédestre, amoureux des paysages ou des monuments qui jalonnent le parcours désormais bien balisé et en partie classé au patrimoine mondial de l’Unesco, certains cheminent seuls, en couple ou en groupe pour accomplir une promesse personnelle, honorer un proche, rencontrer d’autres pèlerins de toutes nationalités ou tout simplement pour se retrouver soi-même. Car la marche est bonne pour le corps et l’esprit. « Les seules pensées valables viennent en marchant...