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L’ombre et la proie

docteur

On n’a, d’évidence, pas fini de mesurer les conséquences de la crise du Covid, notamment l’impact qu’elle a eu sur le monde du travail. Le chômage technique que le coronavirus a imposé à des milliers de Français lors des confinements, la complexité de la mise en œuvre du télétravail qui était si peu adopté par les entreprises en France, l’isolement au sein des équipes éclatées. Et, au-delà, une profonde évolution du rapport au travail des salariés, puis du marché de l’emploi au gré de nouvelles mobilités professionnelles et de réorientations. Tout cela a bouleversé le monde du travail et explique pour une part – mais une part seulement – l’explosion des arrêts de travail constatée par divers organismes comme l’Observatoire mis en place par le groupe Apicil ou les enquêtes du groupe Malakoff-Humanis.

Ainsi, après une baisse entre 2020 et 2021, on constate un retour à la hausse de l’absentéisme en 2022, tous secteurs et populations confondus. 35 % des salariés (39 % des 30-39 ans) ont eu au moins un arrêt de travail en 2022, une proportion en forte hausse puisqu’ils n’étaient que 28 % en 2021. Et si la durée moyenne des arrêts diminue à 22,13 jours par salarié, les arrêts de courte durée (3 à 7 jours) augmentent. Les secteurs aux plus forts taux d’absentéisme sont ceux de la santé, de l’économie sociale et de l’éducation, suivis par ceux du transport et du commerce, autant de domaines dont les conditions de travail, selon Apicil, ont été particulièrement éprouvées ces derniers temps et qui sont touchés par les affections psychiques et les TMS (trouble musculo-squelettiques).

La multiplication des arrêts de travail – 12,7 millions en 2022 – représente évidemment un coup pour la Caisse nationale d’assurance maladie, qu’elle a chiffré à 14 milliards d’euros, selon un rapport publié fin juin. Un coût auquel le gouvernement veut s’attaquer à l’occasion du projet de loi de finances 2024 de la Sécurité sociale en faisant la chasse aux arrêts de travail « de complaisance ». Pour ce faire, le gouvernement prévoit la multiplication des contrôles par des médecins dont le rapport défavorable suspendrait automatiquement le versement des indemnités journalières au salarié. Il veut également encadrer la prescription d’arrêts de travail en téléconsultation – téléconsultation pourtant largement promue pour faire face au déficit chronique de médecins. L’occasion de montrer ainsi son sérieux budgétaire pour redresser les comptes sociaux dont le déficit va s’aggraver en 2024 à 11,2 milliards d’euros et aussi d’afficher sa volonté de lutter contre la fraude sociale, éternelle marotte de la droite mais aussi du patronat prompt à dénoncer un système « laxiste » et des salariés que se complairaient dans la fainéantise…

Lutter contre les abus qui finissent par fragiliser tout le système est évidemment légitime, mais à trop se focaliser sur leur chasse avec moult déclarations tonitruantes, le gouvernement – qui a jadis abaissé le nombre de critères de pénibilité ou supprimé les CHSCT – prend le risque de lâcher la proie pour l’ombre. La hausse du nombre de personnes en emploi, notamment des seniors, le nombre encore trop élevé d’accidents du travail – pour la prévention desquels une campagne d’information vient d’être lancée – et l’impact persistant de la crise Covid sur les salariés méritent d’être considérés à leur juste niveau si l’on veut penser le monde du travail de demain, efficace pour l’économie du pays et épanouissant pour tous les salariés.

(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du lundi 9 octobre 2023)


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