La crise sanitaire de l’épidémie de Covid-19 avait révélé l’extrême vulnérabilité de l’Europe et sa dépendance à d’autres pays pour de nombreux produits manufacturés. Car depuis des années, au nom d’une économie de flux mondialisée et de la recherche du prix le plus bas, nous avions délocalisé et finalement perdu nos savoir-faire industriels, sacrifiant au passage des milliers de nos ouvriers. La pénurie de masques au début de la pandémie a été l’exemple frappant qui nous a ouvert les yeux sur la nécessité de réindustrialiser d’urgence l’Europe comme la France. Question de logique pour retrouver une souveraineté qui était jusqu’à présent accaparée, et dévoyée, par l’extrême droite.
La guerre en Ukraine, brutalement déclenchée par Vladimir Poutine, aura-t-elle le même effet de dessillement pour les Européens sur l’énergie ? Car si les prix du gaz, du pétrole ou du charbon – sans parler de ceux des céréales ou de certains métaux – étaient déjà à la hausse en raison de la reprise économique post-Covid, ce conflit aux portes de l’Europe fait de l’énergie une arme de déstabilisation massive de l’économie mondiale dans les mains du maître du Kremlin. Un geste de sa part et voilà l’Europe coupée du gaz russe alors qu’elle en dépend à hauteur de 40 % en moyenne…
« Pour arrêter Vladimir Poutine, arrêtons de lui acheter du gaz », estime à raison l’ancien président François Hollande, qui souligne l’incohérence qu’il y a aujourd’hui à appliquer d’un côté à la Russie des sanctions économiques auxquelles elle s’est d’évidence préparée depuis l’invasion de la Crimée en 2014 et dont l’impact reste encore à mesurer, et de l’autre côté à lui faire chaque jour un chèque de 800 millions d’euros… Se passer du gaz russe reste évidemment possible : l’Agence internationale de l’énergie vient d’ailleurs de livrer 10 pistes pour y parvenir. Mais cela prendra du temps – et des moyens logistiques et financiers considérables – pour changer de paradigme de façon concertée au niveau européen et, pour certains pays, comme l’Allemagne, de faire une sérieuse et douloureuse autocritique sur les choix énergétiques opérés ces dernières années, notamment l’arrêt du nucléaire et, donc, l’assujettissement à la fourniture de gaz, pétrole et charbon russes…
Cette transition vers un modèle énergétique européen indépendant va également se heurter aux engagements pris pour que cette transition soit écologique. Le risque est grand, en effet, que les objectifs de réduction d’émission de CO2 ne soient différés pour préserver l’alimentation énergétique de l’Europe l’hiver prochain.
Si l’objectif est de stopper Poutine et d’éviter l’extension de la guerre en Ukraine, se passer du gaz russe reste bien la seule voie possible, le seul moyen de pression réellement efficace. Cela coûtera très cher à l’Europe, qui devra sans doute mettre en place un « quoi qu’il en coûte » pour les particuliers et les entreprises. Mais à l’heure où les Ukrainiens se battent parfois jusqu’à la mort pour défendre les valeurs démocratiques que nous avons en partage, c’est là le prix de la liberté.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du mercredi 9 mars 2022)