L’histoire de la construction européenne, cette consolidation de la paix sur un Vieux continent marqué par deux terribles Guerres mondiales, a été secouée ces 70 dernières années par d’incroyables avancées et des crises majeures dans lesquelles elle aurait pu disparaître. L’histoire de l’Union européenne est aussi marquée par ces moments où des hommes et des femmes d’honneur ont dépassé leurs préjugés, ont été plus grands que leur destinée. De Gaulle et Adenauer, qui avait repris à son compte le rêve de Victor Hugo de voir advenir des Etats-Unis d’Europe ; Mitterrand et Kohl main dans la main à Verdun en 1984, scellant définitivement la réconciliation franco-allemande ; Angela Merkel en 2015, ouvrant la porte de l’Allemagne à un million de réfugiés, Syriens, Irakiens, Érythréens ou Afghans traversant la Méditerranée et fuyant des guerres et des régimes dictatoriaux. « Nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des Hommes », résumait Jean Monnet, l’un des pères de l’Europe.
En écoutant hier le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’adresser au Parlement français – comme il l’avait fait auparavant avec le Congrès américain, le Bundestag allemand ou la Knesset israélienne – on mesurait, au-delà de l’émotion, combien cet homme, ce président-courage devenu chef de guerre d’un pays qui résiste, incarnait mieux que quiconque les valeurs européennes. Alors que son pays subit depuis un mois désormais les assauts de l’armée de Vladimir Poutine, fussent-ils moins rapides qu’attendu, endure les bombardements incessants sur Marioupol, Odessa ou Kiev, et fait face à l’exil de près de 3,5 millions de ses concitoyens, Volodymyr Zelensky nous rappelle à nos fondamentaux – « les valeurs valent plus que des bénéfices » a-t-il dit – et nous met devant nos responsabilités.
En nous demandant de « mettre fin à cette guerre contre la liberté, contre l’égalité, contre la fraternité, contre tout ce qui a rendu l’Europe unie, libre et diverse », le président ukrainien nous oblige à sortir de l’état de sidération dans lequel nous sommes plongés depuis le 24 février. Car cette guerre n’est pas qu’un conflit territorial entre voisins, elle ne concerne pas seulement l’Ukraine et la Russie : en déstabilisant ce pays aux portes de l’Europe dont il lui était insupportable qu’il veuille vivre libre et indépendant, Vladimir Poutine fait voler en éclat les espoirs d’un ordre mondial pacifique né après la guerre froide. Aux deux blocs de l’Ouest et de l’Est, le maître du Kremlin, engagé dans une fuite en avant, rêve sans doute de façonner un monde où se trouveraient face à face démocraties et régimes autoritaires. C’est contre cette perspective de voir un monde séparé en deux blocs sans plus aucun lien entre eux que nous alerte Zelensky, qui doit être aujourd’hui plus qu’entendu, mais écouté et aidé.
(Editorial publié dans La Dépêche du Midi du jeudi 24 mars 2022)